Quelles aides sociales doivent rembourser les héritiers ?

Quelles aides sociales doivent rembourser les héritiers ?

Cour de cassation – première chambre civile – 19 septembre 2019 – pourvoi n°18-18.433

 

Doit-on renoncer à une succession d’un parent ayant bénéficié d’aides sociales ?

A son décès, dans le courant des années 2010, une dame âgée, hébergée depuis de nombreux mois dans un établissement de santé géré par la ville de Paris, laisse pour hériter ses deux petits-fils : Louis et Konrad (les prénoms ont été modifiés). C’est grâce à un généalogiste qu’ils ont été retrouvés et informés de cette succession.

Entre-temps, l’office notarial en charge des opérations, a dressé « l’état liquidatif » (bilan de l’actif et du passif de la succession) qui fait apparaître que les dettes seront quasi certainement d’un montant plus élevé que la valeur des quelques meubles et soldes créditeurs de comptes bancaires, en particulier à cause des aides sociales diverses dont a bénéficié, de son vivant, cette vieille dame.

Prudent, Konrad décide de renoncer à la succession et effectue les démarches à cette fin auprès du greffe du tribunal. Insouciant ou mal informé, Louis ne décide rien : ni acceptation, ni renonciation.

Il se retrouve, logiquement, peu après devant le tribunal de grande instance de Paris pour faire face à une demande de remboursement des frais d’hébergement de sa grand-mère dans l’établissement de santé géré par la ville de Paris. Les avocats de cette dernière font valoir que lesdits frais ne constituaient pas une allocation à fonds perdus, mais une avance que la succession et l’héritier se devaient de rembourser, conformément aux dispositions de l’art. L. 132-8 du Code de l’action sociale et de la famille.

Curieusement, la Cour d’Appel de Paris, le 28 février 2018, écarte la prétention de la ville de Paris, au motif qu’il n’est pas prouvé que Louis a accepté la succession de sa grand-mère et le dispense ainsi de payer, une partie au moins de la dette, sur son patrimoine personnel.

Le 19 septembre 2019, la Cour de cassation, désapprouve les magistrats d’appel en rappelant que seule la renonciation en bonne et due forme, dispense l’héritier de payer « de sa poche » ce qui n’aura pu être remboursé par l’actif de la succession.

Konrad a eu raison, Louis a eu tort.

 

Comment sont considérées les aides sociales en droit des successions ?

Pour les avocats spécialistes en droit des successions, la sollicitation de divers organismes sociaux de se faire rembourser leurs prestations par la succession ne constitue jamais une surprise, mais bien plutôt, une constante du droit des successions, sur laquelle ils appellent systématiquement l’attention des héritiers.

En effet, accepter purement et simplement une succession qui est ou va se révéler déficitaire, implique, nécessairement, que l’héritier sera personnellement et sur son propre patrimoine, tenu de toute dette (ou fraction de dette) que l’actif de la succession ne suffirait pas à honorer (art. 785 code civil).

Ce sont les notaires qui reçoivent les déclarations de « créances sociales » avec les pièces justificatives, issues de la comptabilité tenue par un établissement ou par un agent public.

Toutes les aides de l’État, de la région ou du département ne sont pas susceptibles de remboursement par la succession, ainsi de :

  • la prestation de compensation du handicap
  • le revenu de solidarité active (RSA)
  • l’allocation personnalisée d’autonomie.

Quelles aides sociales doivent être remboursées ?

Certaines aides sont considérées comme « avances remboursables » et leur montant peut, sous des conditions spécifiques, faire l’objet d’une déclaration de créance sur la succession et d’un prélèvement sur l’actif :

  • L’aide sociale à l’hébergement

C’est celle qui est l’objet de la décision de justice commentée : elle est destinée aux personnes âgées qui n’ont pas les moyens financiers de payer chaque mois leur hébergement en maison de retraite.
Le total des sommes versées au long de son séjour en établissement est susceptible d’être prélevé sur la succession (art. L. 132-8 du Code de l’action sociale et de la famille).

Il suffit que le montant de l’actif net de la succession soit supérieur à 46.000 € et que les sommes à récupérer dépassent les 760 €. Le créancier (département) doit agir dans les 5 ans qui suivent le décès du bénéficiaire.

  • L’aide sociale à domicile

Elle est attribuée à une personne âgée pour lui permettre de se faire assister par une ou plusieurs personnes pour les tâches quotidiennes qu’elle n’est plus en mesure de d’assumer. Y sont assimilées : l’aide médicale à domicile, la prestation spécifique dépendance et la prise en charge du forfait journalier.

Elle aussi sont, pour leur totalité, susceptibles d’être prélevées sur l’actif de la succession de celui ou celle qui en a bénéficié, dans les mêmes conditions que l’aide à l’hébergement (art. L. 132-8 du Code de l’action sociale et de la famille).

  • L’allocation de solidarité aux personnes âgées

Cette aide est destinée à assurer un minimum de ressources pour les personnes âgées qui ne disposent pas d’une pension ou d’une rente suffisante.
Elle est également soumise à la possibilité d’un remboursement sur l’héritage, mais à des conditions sensiblement différentes des précédentes.

Depuis le 1er juillet 2022, les sommes versées doivent être supérieures à 7 732,41 € par an pour une personne seule et 10 344,80 € par an pour un couple (marié, concubin, pacsé) et le montant de l’actif successoral net doit dépasser 39.000 € (Cf. : Circulaire Cnav n° 2022-19 du 18 août 2022). En revanche, le délai pour faire valoir cette créance est également de 5 ans.

Ces créances sont portées à la connaissance du notaire qui ne manque pas d’en informer les héritiers, dans un délai assez rapide, le plus souvent moins d’un an.
Ils peuvent ainsi prendre toute décision utile, et notamment renoncer à la succession, s’il apparaît, de façon manifeste, que le passif dépassera l’actif, notamment à cause des dettes sociales.

Si un doute subsiste sur la valeur de certains biens ou sur le caractère justifié de l’une ou l’autre dette, ils peuvent s’orienter vers l’acceptation à concurrence de l’actif net.
Cette option présente de nombreux avantages, puisqu’elle oblige tous les créanciers à se déclarer dans un délai de 15 mois, donc bien inférieur au délai de 5 ans prévu par les textes visés ci-dessus !

Renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net garantissent aux descendants et/ou aux membres proches de la famille qu’ils ne seront pas personnellement tenus, en leur qualité d’héritier, des dettes de la personne à laquelle ils succèdent.

 

L’extension des possibilités de recouvrement au-delà de la succession

Ces choix ne les mettent pas pour autant à l’abri d’un recouvrement forcé des aides sociales versées aux personnes nécessiteuses.

Les avocats spécialistes en matière de succession et les notaires en avertissent systématiquement : encore faut-il que le ou les héritiers n’aient pas également la qualité de donataire ou de bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie !

Certains ont imaginé pouvoir faire échapper leurs enfants ou descendants ou proches parents à l’obligation de remboursement de des aides sociales en « vidant » leur prochaine succession de tout bien d’une quelconque importance : à leur décès, l’actif ne représenterait qu’une part infime du passif (constitué par les dettes d’aides sociales) et leurs héritiers renonceraient à la succession. A cette fin, ils utilisaient deux techniques classiques : la donation et l’assurance-vie.

En donnant à ses enfants, notamment par donation partage, le donateur fait échapper la partie du patrimoine qu’il donne aux règles du droit des successions.
Propriétaire de son logement ou d’un autre bien immobilier, de meubles de valeur, il en fait donation, de son vivant, à la ou aux personnes de son choix (souvent ses enfants) et ces biens ne se retrouvent pas dans la succession ; ils ne peuvent donc pas servir à rembourser les aides sociales !

Il en va de même pour l’assurance-vie : le propriétaire d’un bien immobilier le vend et place son prix dans un contrat d’assurance-vie dont ses enfants seront bénéficiaires. Selon le droit des assurances, les capitaux versés au titre du contrat d’assurance-vie n’entrent pas dans la succession (art. L. 132-12 du Code des assurances) ; ils ne peuvent donc pas servir à rembourser les aides sociales !

En ce qui concerne l’aide à l’hébergement et l’aide à domicile, ces deux techniques de fraude sont tenues en échec par les dispositions spécifiques prévues à l’art. L. 132-8 al 2 et al 4 du Code de l’action sociale et de la famille :

Des recours sont exercés, selon le cas, par l’Etat ou le département :
(…)
2° Contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;
(…)
4° A titre subsidiaire, contre le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie souscrit par le bénéficiaire de l’aide sociale, à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de soixante-dix ans. Quand la récupération concerne plusieurs bénéficiaires, celle-ci s’effectue au prorata des sommes versées à chacun de ceux-ci.

Il convient surtout de noter le caractère particulièrement sévère de la mesure concernant les donations.

On comprend parfaitement que la donation consentie postérieurement à la demande d’aide sociale constitue une fraude manifeste ; il est plus difficile de l’admettre pour une donation consentie 8, 9, voire 10 ans avant ! A cette époque, la personne n’était pas en état de besoin et ne pouvait pas forcément imaginer qu’elle le serait plusieurs années plus tard.

Qui plus est, il est fréquent que les donations précèdent de plus de 10 ans le décès du donateur et donc l’ouverture de la succession (les dons sont exonérés de droits dans une certaine limite pour une période de 15 ans). Les bénéficiaires d’une donation vont-ils pouvoir 15 ou 20 ans après, payer, sur ce qu’ils ont reçu, des dettes sociales du défunt ?

La mesure paraît irréaliste et sera certainement injuste dans bien des cas.

En ce qui concerne l’allocation de solidarité aux personnes âgées, le législateur a été plus prudent. Il s’est contenté d’en rester au droit classique des successions, sans viser directement les donations et les contrats d’assurance-vie (cf. Art. 815-13 al 2 code sécurité sociale : « toutefois, la récupération n’est opérée que sur la fraction de l’actif net »).

Dès lors, les donations antérieures ne seront que rarement concernées, puisque la renonciation d’un héritier ou légataire à une succession lui permet de conserver le bénéfice de la donation qui lui a été consentie (cf. Art. 845 code civil).
Quant aux capitaux issus de contrats d’assurance vie, ils ne font pas partie de la succession, sauf le cas de primes manifestement excessives et ne peuvent donc se voir ponctionnés pour le remboursement de cette allocation de solidarité aux personnes âgées.

Il n’est pas sûr que ce régime juridique, très favorable, persiste… affaire à suivre !

Marie-Christine CAZALS
Avocat spécialiste en droit des successions
Inscrite sur la liste nationale des avocats spécialistes mention droit du patrimoine familial