Tous ceux qui ont fait l’expérience de l’aide apportée à des personnes âgées ou/et physiquement diminuées savent leur vulnérabilité et leur faiblesse, liée à leur dépendance. Leur bien-être, leur confort, leur santé reposent sur l’accompagnement qui leur est prodigué. Que vienne à manquer le parent, l’ami ou le thérapeute et leur quotidien sera chamboulé.
Redoutant que certains ne profitent de la situation pour en tirer un bénéfice patrimonial personnel, le droit a pris des mesures de prévention, dont la plus connue est la sanction de l’abus de faiblesse. D’autres sont également prévues, bien plus radicales : les libéralités accordées à certaines catégories d’accompagnants sont purement et simplement interdites.
Qu’est ce qu’une libéralité ?
Une « libéralité » est un acte juridique par lequel une personne transfère au profit d’une autre un droit ou un bien dépendant de son patrimoine. Le législateur distingue deux types de libéralités :
- La donation, qui se fait entre deux personnes vivantes (on parle alors de « libéralité entre vifs » )
- Le testament, qui ne prend effet qu’au jour du décès (on parle alors de « legs »)
Le législateur est venu encadrer la générosité de l’auteur d’une libéralité en dressant, aux termes de l’article 909 du Code Civil, la liste de ceux qui ne peuvent pas bénéficier d’un tel acte juridique, à savoir :
- Il doit s’agir de la dernière maladie « pendant la maladie dont elle meurt », ce qui donne lieu à des débats de technique médicale sur la cause de la mort ;
- Il faut avoir prodigué des soins à cette personne : est-ce le cas du psychiatre ou du psychologue qui accompagne une personne âgée et dépendante, mais en bonne santé, qui soudainement contracte une maladie dont elle va décéder ?
Pourquoi interdire certaines libéralités ?
Cette interdiction de bénéficier d’une libéralité s’explique en raison même des fonctions et professions visées par le législateur à travers l’article 909 du Code Civil. Les médecins, les aides-soignants, étant souvent très présents dans les derniers instants de la vie, sont susceptibles, même de manière involontaire, de créer un désir de gratitude, voire de récompense, de la part de leurs patients.
Si le lien de confiance qui s’établit naturellement avec les « professions médicales et de la pharmacie » favorisent souvent une volonté de donner, celle-ci peut aussi être le résultat d’une malveillance. En effet, l’influence des médecins ou des aides-soignants sur leur patient est telle que la frontière est infime entre le sentiment sincère de gratifier et la manipulation qui aboutit à la gratification.
Ce constat vaut également pour le tuteur ou le curateur, qui, du fait de sa fonction de gestionnaire de patrimoine, pourrait s’auto-désigner comme bénéficiaire d’une donation, ou d’un legs. En effet, selon la mesure de protection qui s’impose au majeur protégé, le tuteur ou le curateur dispose de pouvoirs plus ou moins importants grâce auxquels il deviendrait bénéficiaire du patrimoine du majeur à protéger : émission de chèques à son ordre, virement à son profit, influence dans la rédaction du testament, etc.
Conscient de ces possibles dérives, le législateur a installé un garde-fou, en interdisant à ces corps de métier de profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires faites en leur faveur.
Comment assurer cette interdiction ?
Le notaire est présent pour rédiger l’acte juridique
En plus des dispositions préventives de l’article 909 du Code Civil, il convient de noter qu’une grande partie des libéralités se réalisent devant notaire. En effet, celui-ci est indispensable pour la rédaction de l’acte juridique, que ce soit une donation, ou un testament comme le testament authentique par exemple.Aussi, l’exigence d’un professionnel du droit tel que le notaire dans l’accomplissement de l’acte assure, grâce à son devoir de conseil, la garantie supplémentaire que la libéralité ne se fasse pas au profit d’un bénéficiaire interdit.
Le notaire n’est pas présent pour rédiger l’acte juridique
Toutefois, le notaire n’est pas présent pour toutes les libéralités :
- les dons manuels
- les donations indirectes ou déguisées
- le testament dit olographe
Alors que faire lorsque l’on découvre dans le cadre d’une succession, qu’un testament olographe par exemple, désigne un bénéficiaire interdit ?
Le notaire ne dispose pas du pouvoir d’écarter à lui seul l’application du testament litigieux. En effet, il ne pourra qu’émettre de sérieuses réserves sur la validité des dispositions concernées et inviter les parties à s’orienter vers un avocat spécialiste en droit du patrimoine familial. Ceci, soit pour trouver un accord à l’amiable, soit pour lancer une action en justice.
En effet, seul le Tribunal Judiciaire est compétent pour annuler les effets d’un testament comportant un legs au bénéfice d’une personne écartée par la loi. En raison de la technicité de ces questions, le législateur exige que cette procédure se fasse avec l’assistance d’un avocat.
Il en va de même pour toutes les opérations juridiques qui constitueraient un « camouflage », dans le but de contourner les dispositions de l’article 909 du Code Civil. On parle alors de donation déguisée ou de donation indirecte.Par exemple, une personne décide de vendre un bien immobilier à son infirmière à un prix très avantageux. Cette opération de vente est en réalité une donation déguisée, laquelle tombe sous le coup des dispositions de l’article 909 du Code Civil.
Dans une telle situation, l’assistance d’un avocat spécialiste en droit des successions se révèle particulièrement précieuse en raison de son expérience. Ce type de montage, souvent frauduleux, recèle des failles qu’il convient de faire apparaître et de démontrer devant les juges.
Quelles sont les conséquences de l’interdiction des dons et legs ?
Cette règle de l’interdiction de donner ou de léguer à certaines personnes est, en pratique, assez connue des corps de métier visés par l’article 909 du Code Civil.
Au cours de leur formation, il est régulièrement rappelé aux professionnels de santé, et aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs, qu’ils ne sont pas autorisés à percevoir les libéralités des personnes dont ils ont la charge.En revanche, bon nombre de personnes établissant leur testament l’ignorent. Et si le défunt a rédigé un testament olographe, il aura pu, de bonne foi, vouloir avantager son médecin traitant ou son infirmier. Le professionnel de santé, de bonne foi, renoncera alors sans discussion au legs, qu’il ait ou non ignoré son existence.
Il en est d’autres qui argueront qu’ils n’ont pas vraiment prodigué des soins, mais ont simplement rendu visite à un patient, de toutes façons incurable. D’autres prétendront qu’il ne l’ont pas traité pour sa dernière maladie, d’autres enfin qui exposeront qu’il ne s’agit que d’une très modeste libéralité, exceptionnellement autorisée par le dernier alinéa de l’art. 909 code civil.
Dans ce contexte, il appartiendra au Tribunal judiciaire, de se prononcer sur ces diverses questions et d’en tirer ou non la conséquence de la nullité de la libéralité. Il pourra y ajouter, dans les cas de mauvaise foi avérée du bénéficiaire, la condamnation à verser des dommages-intérêts d’un montant significatif aux héritiers qui ont failli être lésés.
Textes de référence : 909 et 911 code civil