Comment s’opposer à un détournement d’héritage ?

Comment s’opposer à un détournement d’héritage ?

Les recueils de jurisprudence et les dossiers des avocats spécialistes en droit des successions fourmillent d’exemples d’héritages « surprenants ». A la connaissance de son testament, les proches du défunt s’interrogent : pourquoi celui-ci est-il légataire universel, pourquoi celle-là se voit elle attribuer la villa en bord de mer, pourquoi une association locale va-t-elle recevoir un legs représentant 10 fois son budget annuel ?

La réponse vient souvent très vite : on soupçonne un détournement d’héritage, ce qui entraîne de nouvelles questions.

Qu’est-ce qu’un détournement d’héritage ?

Toutes les donations inattendues, tous les legs imprévus, ne constituent pas légalement un détournement d’héritage. La loi permet à chacun de disposer librement de tout ou partie de son patrimoine (« la quotité disponible »), soit de son vivant par donation, soit par le biais d’un testament.

En effet, l’auteur de la libéralité peut avoir d’excellentes raisons de gratifier plus particulièrement un membre de la famille, un ami ou un voisin : le bénéficiaire a été le seul à s’occuper de lui pendant une période difficile, il lui a rendu des services qu’il ne lui a jamais fait payer, il partageait avec lui la même passion de collectionneur de voitures anciennes ou de papillons exotiques, etc.

S’il apparaît qu’il n’existe aucun motif sérieux de cette sorte, ou si le motif existe bien, mais que la valeur de la libéralité est démesurée au regard de ce lien, il convient alors de prolonger l’analyse, au regard des critères légaux.

Deux pistes, suggérées par le texte du code civil :

  1. Le donateur ou testateur était-il suffisamment lucide pour décider d’une donation ou d’un legs ?
  2. Disposait-il d’une parfaite liberté au moment où il a matérialisé sa volonté ?

La première mène au classique abus de faiblesse. Cette notion de droit civil largement construite par la jurisprudence est une infraction de droit pénal rigoureusement définie par le code pénal. Pour plus de détails concernant l’abus de faiblesse, consultez notre article Que faire en cas d’abus de faiblesse ? publié en décembre 2019.

La seconde incite à rechercher si la volonté du généreux donateur ou testateur n’a pas été trop influencée (directement ou indirectement) par une tierce personne. Dans ce cas, le code civil évoque trois hypothèses :

L’erreur

  • l’erreur peut concerner la nature de l’acte : l’auteur croit passer un contrat de vente alors qu’il signe un acte de donation
  • elle peut viser la personne bénéficiaire : quand l’auteur croit léguer à un membre de sa famille mais se trompe de prénom et en désigne ainsi un autre
  • une erreur peut affecter la cause de l’opération : l’auteur étant persuadé qu’il a été guéri d’une grave maladie par un « gourou » qu’il entend ainsi remercier (alors qu’il doit d’avoir recouvré sa santé à la seule compétence de son médecin.)

Le dol

Cette notion se rapproche de la précédente, mais en diffère en ce que l’erreur a été provoquée par des manœuvres frauduleuses d’un tiers. On peut évoquer par exemple, celui qui se fait passer pour le représentant d’une association caritative pour se faire remettre un chèque bancaire quel qu’en soit le montant (c’est bien une donation !). Il y a aussi celui qui fait croire à un lien de parenté plus ou moins éloigné avec le testateur pour être désigné comme légataire.

La violence

Cette forme est parfois facile à faire apparaître, par exemple lorsque le bénéficiaire de la donation (sous forme de don manuel) a obligé le donateur à signer sous la menace d’une arme. La violence peut être beaucoup plus difficile à mettre en évidence. Il y a en effet la contrainte sournoise consistant à laisser entendre à une personne dépendante que faute de libéralité conséquente, elle sera abandonnée à la solitude.

Pourquoi lancer une procédure de détournement d’héritage ?

Quel peut bien être l’objectif du législateur lorsqu’il fournit aux membres de la famille ou aux proches les armes pour combattre les détournements d’héritage ? Il semble qu’il y en ait au moins deux :

  • le respect de la volonté individuelle
  • la protection du patrimoine familial

La personne humaine est, au regard du droit, une volonté personnelle libre et consciente, ce qui lui donne sa valeur et sa dignité. Utiliser des manœuvres ou profiter de la faiblesse ou de l’erreur de la personne pour le déterminer à donner ou à léguer constitue une violation de ce principe et à ce titre, elle doit être combattue.

De manière plus pragmatique, la loi française a organisé tout un système assez contraignant de transmission du patrimoine de façon à privilégier les descendants et, à défaut d’assurer un retour aux ascendants ou aux frères et sœurs. Détourner un héritage remet en cause cette règle qui constitue aussi un mécanisme fondamental de l’économie nationale.

Force est de constater, dans les cabinets d’avocats spécialistes en successions et dans les offices notariaux, que les personnes venues consulter exposent exactement les mêmes préoccupations.

Comment empêcher un détournement d’héritage ?

Prévenir un détournement d’héritage

Les relations familiales ou amicales, aussi harmonieuses et suivies qu’il est possible, constituent certainement le meilleur moyen d’éviter un détournement d’héritage. En effet, les manœuvres des bénéficiaires sans scrupules passent, presque toujours, par l’accaparement et l’isolement de celui dont ils guettent tout ou partie de la succession.

La loi intervient également dans les cas les plus inquiétants. Par exemple, ceux où le titulaire du patrimoine convoité donne d’évidents signes d’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Dans ce cas, la loi organise les régimes de tutelle et de curatelle. La donation est alors soit interdite, soit contrôlée, ce qui écarte les risques de détournement. Quant au testament, il est impossible en cas de tutelle, et n’a qu’une fragile valeur en cas de curatelle.

Contester un héritage pour cause de détournement

Lorsqu’on découvre un détournement d’héritage avéré, que faire ? Les héritiers qui vont contester doivent, évidemment, s’attendre à une sérieuse résistance du bénéficiaire de la donation ou du legs et donc, le plus souvent à des démarches en cascade.

La première diligence consiste à prendre l’attache du donataire ou du légataire pour lui demander de renoncer aux avantages qu’il s’est frauduleusement octroyés par ses manœuvres.

Un tel courrier n’aura d’effet que s’il est précis, technique, motivé en droit et accompagné de mesures de blocage. C’est le premier rôle de l’avocat spécialiste des successions, rompu à de telles confrontations et qui saura anticiper sur les réactions adverses.

Si le bénéficiaire malhonnête ne plie pas, il faudra avoir recours à la justice, pour faire établir un état de faiblesse du donateur ou du testateur, soit par le biais d’une assignation civile devant le tribunal judiciaire, soit par le biais d’un dépôt de plainte pénale. Dans le premier cas, l’assignation ne peut être délivrée que par l’intermédiaire d’un avocat.

Quels sont les résultats d’une procédure lancée contre un détournement d’héritage ?

Si la démarche amiable réussit, les avantages illégalement acquis disparaissent. La succession est réglée en les considérant comme n’ayant jamais existé. Cela évite, autant que possible, des aménagements trop lourds de conséquences fiscales. Avantage non-négligeable, la durée d’une telle phase est plus courte que le passage par un tribunal.

S’il faut recourir à la justice civile, le tribunal ou la cour d’appel pourront aboutir au même résultat et déclarer nuls la donation et/ou le legs. La juridiction pourra y ajouter, rarement toutefois, à la charge du bénéficiaire frauduleux, une somme forfaitaire à titre de dédommagement pour tous les troubles qu’il a provoqués.

Si c’est la voie pénale qui a été choisie, elle ne mènera, au mieux, qu’à une condamnation pénale du bénéficiaire délinquant et à une réparation symbolique. Il faudra, ensuite, soit recourir à la démarche amiable, soit saisir la justice civile pour faire annuler les libéralités frauduleusement obtenues.

Les principaux textes de référence

Marie-Christine CAZALS
Avocat spécialiste en droit des successions
Inscrite sur la liste nationale des avocats spécialistes mention droit du patrimoine familial