(Cf. Cour de Cassation – première chambre civile – 21 septembre 2022 – pourvoi n° 19-22.693)
Un notaire vient de vous informer par un courrier officiel qu’un de vos proches, parent éloigné, ami de longue date ou voisin avec lequel vous étiez en excellents termes, qui vient de décéder, vous a attribué, par testament, une somme d’argent.
Le courrier précise qu’il s’agit d’un « legs particulier », tel que prévu par l’art. 1014 du code civil et que son montant sera prélevé sur les fonds de la succession, dans les limites de la quotité disponible.
Il ajoute que le testament a fait l’objet d’un dépôt au rang des minutes de l’office notarial, c’est à dire qu’il reçoit une forme d’enregistrement qui aura une double fin : éviter sa destruction ou sa disparition et permettre son application à l’égard de tous les intéressés : héritiers, légataires, mais aussi créanciers du défunt.
Passé le temps de la surprise, puis celui de la pensée émue et de la reconnaissance « post mortem » pour ce généreux donateur, que faire pour entrer en possession des fonds qui vous sont attribués selon ses dernières volontés ?
Comment se renseigner sur les détails du legs ?
Il convient d’abord de répondre au notaire et de solliciter de plus amples renseignements :
- Existe-t-il un (ou plusieurs) héritier réservataire, à défaut un légataire universel ?
- La somme est-elle immédiatement disponible ou au contraire, faudra-t-il attendre qu’un immeuble et/ou des meubles de la succession soit vendus ?
- Le montant risque-t-il de porter atteinte à la réserve ?
- Ce legs risque-t-il d’entrer en concurrence avec d’autres ?
La présence d’un ou plusieurs héritiers réservataires (enfants ou petits-enfants) ou d’un légataire universel conditionne les modalités juridiques du versement des fonds.
La disponibilité immédiate des fonds laisse présumer que le legs pourra être payé rapidement. La nécessité de vendre un bien de la succession au préalable amène au contraire à penser que le processus risque d’être long et sans doute compliqué.
Le nombre d’héritiers réservataires détermine la réserve héréditaire (part de succession qui est obligatoirement réservée aux enfants) et la quotité disponible (la part de succession dont le testateur peut disposer à son gré) : le legs particulier qui viendrait à dépasser le montant de la quotité disponible serait quasi-automatiquement réduit au maximum de ladite quotité.
Enfin, si le testateur a prévu plusieurs legs particuliers, leur montant cumulé ne doit pas dépasser le maximum de la quotité disponible.
Doit-on accepter ou renoncer à un legs ?
En possession de ces renseignements, il vous est alors possible de prendre la première décision : accepter ce legs ou y renoncer.
La renonciation à un tel legs résulte le plus souvent de la mise en perspective des avantages et des inconvénients : par exemple, lorsque le montant du legs est peu élevé et les modalités et délais de versement apparaissent les unes compliquées et les autres incertains.
C’est le calcul fait par des associations caritatives qui reçoivent fréquemment des legs : le temps passé à suivre le dossier, souvent confié à un avocat spécialiste, risque-t-il de coûter plus de 70% ou 80 % du montant du legs ? Si oui, autant y renoncer aussitôt.
La renonciation à un legs, contrairement à la renonciation à une succession, ne nécessite aucun formalisme particulier : une lettre recommandée avec avis de réception au notaire, dont le texte sera parfaitement clair, constitue la meilleure formule.
Comment récupérer la somme d’argent du legs ?
Si les réponses du notaire aux questions ci-dessus apparaissent satisfaisantes, il suffira alors de confirmer au notaire que vous êtes à disposition pour les modalités de versement.
Est-ce à dire qu’il suffit alors d’attendre que le notaire opère un virement (les chèques bancaires ne sont plus de mise) vers le compte dont le légataire lui aura fourni les coordonnées ?
C’est possible, dans le meilleur des cas.
En effet, dans bien des successions, les héritiers connaissent les liens qui s’étaient établis entre le défunt et le bénéficiaire du legs et comprennent parfaitement ce dernier geste, témoignage de la gratitude du disparu. Ils invitent le notaire à prélever, sur le compte de la succession, les fonds correspondant au chiffre fixé par le testateur et à les adresser au légataire. (cf. Art. 1014 al 2 « in fine » code civil)
Il est, hélas, des successions dans lesquelles ce processus connaît des aléas, voire des entraves, parfois même des obstacles insurmontables et le notaire annonce qu’il ne lui est pas possible, en l’état, de donner suite, pour des motifs qui peuvent êtres très divers.
Comment demander la délivrance du legs ?
Quelle que soit la situation qui se présente alors, le légataire à titre particulier devra demander aux héritiers (ou au légataire universel) « la délivrance de son legs » (cf. art. 1014 al 2 « in principio » code civil).
Aucune forme particulière n’est requise pour cette diligence : une lettre ou un courriel adressé au notaire en l’invitant à transmettre cette demande à qui de droit, une correspondance directe aux héritiers, une mise en demeure par un commissaire de justice (ex-huissier de justice), sont les modes les plus usuels. L’essentiel étant que la demande soit :
- d’une part, claire et précise, en ce qu’elle permet d’identifier avec certitude la personne décédée; le bénéficiaire et le montant du legs,
- d’autre part indiscutablement située dans le temps, l’intervention du notaire et le recours à un commissaire de justice présentant un incontestable avantage de ce point de vue.
La demande doit, en effet, être présentée dans les 5 ans qui suivent le jour où le légataire a eu connaissance de l’existence de ce legs à son profit.
La suite dépendra tant de l’actif de la succession que du bon vouloir et de la diligence des héritiers.
Dans quel cas la demande de legs peut ne pas aboutir ?
Legs et actif de succession
Si le testateur laisse des héritiers « réservataires » (des enfants ou des petits-enfants, exceptionnellement un conjoint survivant), il ne peut léguer qu’une part du patrimoine qu’il détient au jour de son décès, « la quotité disponible » ; elle est de 1/2 s’il laisse 1 enfant, 1/3 s’il en laisse 2 et 1/4 s’il en laisse 3 et plus.
Si le legs de somme d’argent dépasse cette fraction, il sera, sauf accord (rarissime) des héritiers, « écrêté » au maximum de cette fraction.
Legs et comportement des héritiers
Si les héritiers ne donnent pas suite à la demande de délivrance du legs, il n’est pas d’autre solution que de saisir un tribunal pour obtenir un jugement décidant que le légataire est bien fondé à solliciter la délivrance de son legs. Bien entendu, il conviendra de rapprocher le montant du legs du coût d’une procédure devant le tribunal judiciaire dans le ressort duquel le défunt était domicilié pour s’assurer que « le jeu en vaut la chandelle ».
Il est certain qu’en dessous de plusieurs milliers d’euros, les frais (la représentation par avocat est obligatoire) et les délais de procédure (à ce jour, entre 12 à 36 mois, selon l’encombrement des juridictions) feront renoncer, « de facto », les légataires, sachant qu’au bout de 5 ans ils perdront définitivement leur droit au legs. Il sera prudent de consulter un avocat spécialiste en droit des successions pour envisager avec lui les perspectives et les risques.
D’autant qu’une fois ce jugement obtenu, il faudra, à nouveau saisir la justice si les héritiers ne s’exécutent toujours pas.
C’est la triste mésaventure survenue à un légataire d’une somme de 1.800.000 francs, soit 274.408,23 €, à lui consentie par une personne décédée le 3 janvier 1993.
Rencontrant des difficultés pour obtenir la délivrance de son legs, il saisissait la justice. Après moult péripéties de procédure, il obtenait enfin, le 13 mars 2012, un arrêt de la Cour d’appel de Versailles (validé par un arrêt de la cour de Cassation du 3 juillet 2013), le déclarant bien fondé à solliciter la délivrance de son legs.
Entre temps, divers décès dans la famille du testateur avaient considérablement compliqué le déroulement des opérations. Les discussions avec les héritiers des héritiers n’aboutissant pas, le légataire décidait d’user de la contrainte.
Le 5 janvier 2016, il leur faisait délivrer un commandement de payer le montant de son legs sous peine de saisie et vente de biens dépendant de la succession. Mécontents, les héritiers saisissaient aussitôt le juge de l’exécution qui validait la démarche du légataire, tout comme la Cour d’Appel de Versailles, par un arrêt rendu le 27 juin 2019.
Toujours mécontents, les héritiers formaient un pourvoi en cassation et, par un arrêt du 21 septembre 2022, obtenaient gain de cause pour des motifs tenant, non au droit des successions, mais aux exigences spécifiques de la procédure civile !
Compte tenu des critiques de la Cour de Cassation, il n’y avait guère de chances de pouvoir progresser et il fallait en revenir à la situation de début 2016 et choisir un autre angle d’attaque, à nouveau devant un tribunal, 30 ans après l’ouverture de la succession !
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