Tout individu doté de la capacité juridique peut, en principe, librement disposer de ses biens. Cependant, pour ce qui a trait aux actes de disposition à titre gratuit, telles les donations, il convient de préciser que le législateur a parfois limité l’exercice de cette liberté.
Contrairement à la solution retenue par certains droits étrangers, notamment au sein des pays qui ont été soumis à l’influence du droit anglais, le droit français considère qu’en présence des membres les plus proches de la famille, il existe un devoir de leur transmettre ses biens, ce qui diminue évidemment la liberté de disposer de ses biens.
La loi française en matière d’héritage
Lorsqu’une personne laisse à son décès des descendants, donc au premier chef des enfants, qu’ils soient issus d’un mariage, qu’ils naissent hors mariage, qu’ils soient adoptifs ou adultérins, la loi décide de leur réserver une partie des biens du défunt. Il s’agit de ce que la loi appelle la réserve successorale.
Si une donation ou un legs empiète sur cette part de réserve héréditaire, cette disposition peut être amputée, réduite, pour reconstituer la réserve. Cependant, la réserve successorale n’absorbe jamais la totalité de la succession du défunt. Ainsi, l’article 913 du Code civil prévoit que cette réserve est de ½ en pleine-propriété en présence d’un enfant venant à la succession. Le reliquat, ½ en pleine-propriété, constitue ce que la loi appelle la quotité disponible. La liberté du défunt peut s’exercer dans la limite de cette quotité disponible. Cette quotité sera de 1/3 en pleine-propriété en présence de deux enfants venant à la succession, et enfin d’1/4 en pleine-propriété en présence de trois enfants ou plus.
Ainsi, en principe, en raison de l’existence de cette réserve héréditaire, qui est d’ordre public, il n’est pas possible d’exhéréder, de déshériter, ses enfants. Il est simplement possible de les priver de la quotité disponible, au profit d’autres personnes.
Cependant, certains parents peuvent, à juste titre, considérer que l’attitude de l’un de leurs enfants est « indigne », et veulent lui retirer tout droit à l’héritage. La question est de savoir si la loi française admet une telle exhérédation.
L’indignité successorale doit être indépendante de la volonté du défunt
Le droit français, de prime abord, considère que l’héritier dont le comportement a été indigne à l’égard du défunt doit être privé du droit d’hériter. Le législateur eût pu s’en remettre au défunt pour régler cette question, en lui laissant la possibilité légale de déshériter son enfant s’il estime que le comportement de ce dernier a été inadmissible à son endroit. Mais cette voie a été écartée. En effet, imaginons que l’enfant assassine son père, comment envisager alors que ce père puisse sanctionner cet enfant, alors qu’il vient de mourir ?
C’est pourquoi le Code civil français considère que l’indignité successorale doit être indépendante de la volonté du défunt. C’est le législateur qui décide quels sont les comportements de l’enfant qui méritent d’être sanctionnés. L’enfant sera alors frappé d’une déchéance, puisqu’il sera privé de ses droits dans la succession de celui de ses parents à l’égard duquel il s’est mal comporté. Cette sanction profitera aux autres héritiers, puisque la part des autres enfants augmentera ainsi. Cette indignité est considérée comme une peine civile.
Les cas d’indignité successorale ont été profondément remaniés par la réforme du 3 décembre 2001. Il s’agit des articles 726 et s. du Code civil, qui ne s’appliquent qu’aux successions légales. Lorsque le bénéficiaire se conduit mal à l’égard du disposant ou du testateur, son comportement sera sanctionné grâce au recours à une autre institution qui se nomme la révocation pour ingratitude (art. 955 et 1046 du Code civil).
Quels sont les cas d’indignité successorale ?
La loi du 3 décembre 2001 retient une définition assez large des cas d’indignité et prévoit deux hypothèses d’indignité, d’une part l’indignité de plein droit, et d’autre part l’indignité facultative.
Les cas d’indignité de plein droit
L’article 726 du Code civil exclut de la succession, pour cause d’indignité, les personnes suivantes :
- Un enfant du défunt, qui est condamné comme auteur ou complice pour avoir volontairement donné ou tenter de donner la mort au défunt, et ce, à une peine de réclusion criminelle supérieure à 10 ans. Lorsqu’un enfant est condamné pour un meurtre ou un assassinat, ou pour tentative de meurtre ou d’assassinat, sur la personne de son père ou de sa mère, il sera exclu de la succession de sa victime.
- La personne, comme par exemple un enfant du défunt, qui est condamnée à une peine supérieure à 10 ans de réclusion criminelle, comme auteur ou complice, pour avoir volontairement porté des coups, ou commis des violences, ou des voies de fait, ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Dans tous ces cas l’indignité est automatique, ce qui signifie qu’il n’y a pas besoin d’une décision de justice prononçant l’indignité successorale.
Il suffit que l’enfant ait été condamné à une peine de prison supérieure à dix ans pour l’une des infractions visées à l’article 726 du Code civil, pour qu’il soit considéré comme indigne, et comme tel, exclu de la succession.
Les cas d’indignité facultative
L’article 727 du Code civil prévoit 5 hypothèses d’indignité facultative. Le point commun entre tous ces cas est qu’une décision prononçant l’indignité est requise. Il incombera au tribunal d’apprécier si les condamnations pénales qui sont intervenues justifient ou non, dans chaque cas d’espèce, le prononcé de l’indignité :
- La personne, comme par exemple un enfant du défunt, qui est condamnée, comme auteur ou complice, pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt. Il doit s’agir d’une condamnation à un emprisonnement inférieur ou égal à 10 ans.
- La personne qui est condamnée, comme auteur ou complice, à une peine de prison de 10 ans maximum, pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
- La personne qui est condamnée pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits énoncés, une peine criminelle est encourue (comme pour un meurtre, un viol ou un assassinat).
- La personne qui est condamnée pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle.
- La personne qui est condamnée pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime, soit un délit, contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers.
La difficulté d’appréhension de ces notions nécessite une expertise juridique élevée. Le cabinet Cazals, spécialiste en droit des successions et des libéralités, pourra vous accompagner pour répondre convenablement à vos questions, que les questions soient posées avant le décès, ou par les héritiers, après le décès.
Il est essentiel de préciser que toutes ces dispositions sont d’interprétation stricte. Aucun juge ne pourra prononcer l’indignité successorale en raison de circonstances particulières non prévues par les textes.
De plus, l’indignité est une peine personnelle qui ne concerne que son auteur et ne peut pas toucher les héritiers de l’indigne. Il s’agit de l’application du principe de la personnalité des peines, c’est pourquoi sa faute ne peut rejaillir sur ses proches : il sera donc le seul à être écarté de la succession de sa victime.
Ainsi, un enfant qui ne se comporte pas « convenablement » avec ses parents, qui les déçoit quant à son attitude, ne peut être totalement déshérité, puisque la loi lui réserve une part de la succession de ses parents. Il n’est pas possible de supprimer ce minimum légal, à moins que cet enfant renonce de lui-même à la succession de ses parents, après la mort de ces derniers, ou dans l’hypothèse où il sera frappé d’indignité, dans les cas prévus par la loi. Cette indignité l’exclura uniquement de la succession de celui à l’égard de qui il s’est mal comporté. Ainsi, un enfant déclaré indigne à l’égard de son père, et exclu de la succession de ce dernier, pourra tout de même hériter de sa mère.