Lorsque l’âge ou la maladie vont ébranler la santé mentale ou la santé corporelle d’une personne, elle peut être privée de la capacité d’exprimer sa volonté. Il est donc indispensable de proposer des mesures pour la protéger.
L’objectif est d’éviter qu’elle ne soit la victime de proches sans scrupules prompts à la dépouiller ou qu’elle ne dilapide ses revenus en articles sans utilité pour elle.
Il faut savoir que les tribunaux regorgent d’exemples d’octogénaires, quasi-impotents et vivant seuls, incapables de conduire mais ayant acheté une luxueuse voiture neuve. Ou même de nonagénaires à la mémoire perdue ayant commandé (et reçu) vingt fois la même montre.
Le principe en est posé à l’art. 425 code civil, aux termes duquel :
« Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre. »
Dans cette perspective la loi prévoit trois situations et trois régimes correspondant.
- La sauvegarde de justice : un régime souple et simple, qui est par nature provisoire
- La tutelle pour les cas graves
- La curatelle pour les situations d’altération plus légère
Ces deux derniers cas de figure ont vocation à durer.
Dans chacune de ces hypothèses, quelle est la liberté de la personne de rédiger ou de faire rédiger son testament ?
Testament et sauvegarde de justice
Le régime de la sauvegarde de justice est organisé par les art. 433 à 439 code civil. Selon le premier de ces textes, il concerne la personne qui a besoin d’une protection juridique temporaire.
Elle peut être temporaire car l’individu dont les facultés sont altérées va se rétablir et sera, dans quelques semaines ou dans quelques mois, à nouveau capable de diriger ses affaires.Il en est de même pour celui victime d’un sérieux accident le clouant au lit d’un hôpital, puis d’un établissement de ré-éducation ou de convalescence. Sa défaillance n’est qu’une question de temps et il retrouvera la pleine possession de ses moyens intellectuels et sensoriels, lui permettant de gérer à nouveau son patrimoine. Mais, à le supposer propriétaire immobilier, il faut bien que, pendant cette période, quelqu’un encaisse les loyers et provisions, honore les factures, passe un ou plusieurs contrats de bail, décide d’un investissement fiscalement avantageux, etc …
Elle peut aussi être temporaire comme mesure préalable à la tutelle ou à la curatelle, le temps de déterminer quelle est la formule juridique la plus adaptée à son état et surtout à sa personnalité. C’est l’exemple classique du malade souffrant de la maladie d’Alzheimer : il faut le temps d’examens complexes et parfois longs pour déterminer à quel stade il se trouve et donc quel est le régime le mieux approprié.
Durant cette période de sauvegarde de justice, la personne conserve l’intégralité de ses droits et les exerce librement, sans autorisation et sans assistance (art. 435 code civil).
Elle peut donc rédiger ou dicter à un notaire son testament.
Il n’existe qu’un contrôle « a posteriori », de l’équilibre économique des opérations ; autant dire que cela ne saurait s’appliquer au testament.
En revanche, cette période de sauvegarde de justice est susceptible de provoquer une incertitude sur la santé mentale de la personne protégée. En effet, au moment de rédiger son testament, avait elle la pleine possession de ses moyens ou la maladie commençait-elle à produire déjà ses effets ?
Afin de lever de tels doutes, les avocats spécialistes en droit des successions et les notaires conseillent au majeur sous sauvegarde de justice de faire dresser un certificat médical par un médecin (si possible un gériatre ou un neuro-psychiatre) attestant de sa capacité à comprendre et à décider de la transmission de ses biens. Ce certificat sera concomitant au testament et qui y sera joint.
Toute action en nullité du testament pour « insanité d’esprit », intentée après le décès par un héritier mécontent sera ainsi vouée à l’échec.
Testament et curatelle
La curatelle est la forme de protection qui s’impose lorsque la personne qui a besoin de protection n’est qu’affaiblie par la maladie et a conservé une bonne part de lucidité.
Il n’existe pas une curatelle, mais une multitude de curatelles ! En effet, le code civil a voulu que puisse être organisée une véritable personnalisation de ce type de protection. La loi prévoit un socle obligatoire et le juge des tutelles peut, à partir de là, façonner de manière adaptée le statut le plus approprié à la situation qui lui est soumise.
Il en résulte des formules de curatelle dite « légère » et des formules de curatelle « renforcée ». Tout dépend de la gravité de l’atteinte que subit le majeur à protéger.
En ce qui concerne le testament, la loi prévoit spécifiquement ce point : le majeur sous curatelle est libre de tester à condition qu’il réalise la portée de son acte et des clauses qu’il inclut (art. 470 code civil).
Toutefois, dans le prolongement du principe de personnalisation, le juge peut estimer nécessaire de lui retirer cette faculté s’il constate qu’il est inapte à rédiger ou dicter ses dernières volontés (art. 471 code civil). Ainsi quand il apparaît qu’un père de famille, pourtant à peu près à même de gérer ses propres affaires au quotidien fait une fixation (névrotique ou psychotique) sur un refus irrationnel de toute transmission de son patrimoine à ses enfants ! Mieux vaut alors lui interdire de rédiger ou de rédiger seul un testament qui pourrait priver, sans le moindre motif sérieux, ses propres enfants de la quotité disponible !
Enfin, si l’état du majeur le nécessite, le juge peut, à tout moment, décider d’une forme particulièrement lourde de curatelle : « la curatelle renforcée » (art. 472 code civil).
Le majeur qui est soumis à cette forme de protection perd beaucoup d’autonomie, au point de se trouver à peu près dans la situation du majeur sous tutelle, y compris pour le testament.
Testament et tutelle
La tutelle constitue le niveau de protection juridique le plus élevé. Destinée aux individus dont l’état de santé ne permet pas le minimum de gestion du patrimoine, ni même de la vie courante, elle les prive de l’exercice de la quasi-totalité de ses droits patrimoniaux.
L’activité du majeur sous tutelle est réalisée par le tuteur, « qui le représente pour tous les actes de la vie civile. » (art. 473 code civil).
Sauf exception, rare et obligatoirement prévue par décision de justice, le majeur sous tutelle ne peut donc passer aucun contrat, aussi simple soit-il :
- ni bail
- ni paiement d’un loyer,
- ni achat ou vente,
- ni crédit à la consommation,
- ni souscription d’une assurance.
Seuls les actes usuels de la vie quotidienne (achat de denrées alimentaires, de titres de transports urbains, de tickets d’entrée pour un cinéma ou une manifestation sportive, par exemple) restent de son ressort.
On comprend alors que la personne sous tutelle ne soit pas autorisée à rédiger ou dicter un testament. De telles dernières volontés seraient nulles et de nul effet, sans qu’il y ait à chercher quel pouvait être, au moment de la rédaction, son état de conscience réel : s’il souffrait ou non d’insanité d’esprit ou si il avait, à ce moment bénéficié d’un épisode de lucidité suffisante.
La seule constatation par une juridiction de l’ouverture d’une tutelle préalablement à la date de rédaction (ou de dictée) du testament suffira à faire prononcer sa nullité.
Toutefois, par souci de respecter autant que possible la liberté et la volonté individuelles, l’art. 476 code civil offre une possibilité exceptionnelle :
« Elle ne peut faire seule son testament après l’ouverture de la tutelle qu’avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, à peine de nullité de l’acte. »
Le juge des tutelles doit au préalable s’assurer que la personne sous tutelle est apte à exprimer clairement sa volonté.
Autant écrire qu’il s’agit là d’une faculté rarement mise en oeuvre.
Et le principe dominant restera bien dans la quasi totalité des cas l’interdiction de tester avec sa sanction, la nullité des dispositions testamentaires prises par un majeur sous tutelle.
En revanche, le testament rédigé antérieurement à l’ouverture de la tutelle reste valable sous réserve que ne soit pas apportée la preuve que son insanité d’esprit était déjà avérée.
Enfin, il est nécessaire de mentionner que le majeur sous tutelle peut, à tout moment, sans avoir à en justifier et sans encourir la moindre nullité, « seul révoquer le testament fait avant ou après l’ouverture de la succession. » (art. 476 al 2 code civil).
Cette contradiction, apparente mais certaine, posera sans doute des difficultés lorsque le testament révoqué aura été précédé d’un ou plusieurs autres, qui va ou vont revivre !
On peut ainsi constater que sous des vocables identiques : sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle, peuvent se rencontrer des situations très différentes nécessitant pour l’avocat spécialiste qui viendrait à être saisi d’une difficulté dans ce domaine, l’examen des circonstances factuelles, des actes juridiques et des décisions judiciaires qui ont entouré la rédaction ou la dictée d’un testament.