Cour de cassation – Première chambre civile – 17 octobre 2019 – n° 18-23.409
A quoi sert un mandataire successoral ?
Constatant la trop longue durée de règlement de nombreuses successions, le gouvernement et les parlementaires ont proposé, dans la vaste réforme opérée en 2007, diverses solutions pour faciliter le déroulement des opérations.
Quatre d’entre elles sont fondées sur l’idée qu’une seule personne, motivée, sera plus efficace et plus diligente que plusieurs héritiers pour prendre des décisions et les faire exécuter ; elle sera aussi plus facile à contacter pour tous ceux qui auront besoin d’une réponse rapide.
Cette idée avait déjà fait ses preuves à travers deux institutions : l’exécuteur testamentaire, personne désignée par testament pour administrer et régler les difficultés des opérations à venir et le mandataire conventionnel, choisi par les héritiers après le décès.
Les notaires et les avocats spécialistes en droit des successions constataient, régulièrement, les multiples avantages de « l’interlocuteur-gestionnaire » unique.
Quels sont les différents types de mandataire successoral ?
La loi n°2006-728 du 23 juin 2006 a conservé ces deux fonctions, les a améliorées et en a ajouté deux autres, le mandataire posthume (art. 812 et suiv. code civil) et le mandataire successoral (art. 813-1 et suiv. code civil).
Le mandataire posthume, comme l’exécuteur testamentaire est choisi par testament, donc avant le décès, par une personne qui redoute que sa succession ne soit difficile.
En revanche, le mandataire conventionnel et le mandataire successoral ne sont désignés qu’après l’ouverture de la succession. Le premier peut intervenir à la demande des héritiers, sans qu’il y ait de désaccord entre eux et sans que se présentent des difficultés ; c’est une formule intéressante quand tous les héritiers ou certains d’entre eux résident à l’étranger et ne peuvent donc aisément suivre le règlement. Il n’y a lieu à désignation du second que si se révèlent des complications avec les héritiers : leur inertie, leur carence, leur mésentente ou leur faute qui provoquent une interruption ou un sérieux ralentissement du processus.
Mais, l’art. 813-1 code civil parait bien réserver cette solution aux successions dans lesquels sont impliqués des héritiers, donc des personnes qui se trouvent en situation d’indivision.
Peut-on mettre en place un mandataire successoral en cas d’héritage sans indivision ?
Oui, répondent les magistrats de la Cour d’Appel de Paris, le 4 juillet 2018.
Une succession était ouverte depuis le 27 septembre 2012, à laquelle étaient appelés les 5 enfants du défunt, mais avec cette particularité que, par testament, l’un d’entre eux avait été institué « légataire universel ».
On sait que la qualité de légataire universel emporte l’attribution de la totalité du patrimoine, à charge pour lui de reverser à chacun des autres héritiers réservataires le montant de sa part. Elle évite une indivision, puisque tous les pouvoirs de gestion sont remis au légataire universel.
Or, l’héritier désigné comme tel avait fait preuve de beaucoup d’indolence et d’inertie. Ainsi, dans l’actif de la succession se trouvaient plusieurs immeubles en copropriété et son impéritie provoquait la paralysie de cette co-propriété : impossible de prévoir et organiser des travaux nécessaires de conservation, de payer les charges, de procéder au recouvrement de créances, etc.
Lassé, le syndicat des co-propriétaires assignait le légataire universel et les héritiers en référé pour voir désigner un mandataire successoral ; le juge y donnait une suite favorable, par ordonnance du 5 avril 2018.
Mécontents, le légataire universel et un autre héritier relevaient appel de cette décision. En vain, la cour d’Appel de Paris confirmait cette désignation, estimant que peu importait qu’il y ait ou non indivision.
Toujours mécontents, les deux mêmes formaient un pourvoi en cassation. Sans plus de succès ; par arrêt dont références ci-dessus, la Cour de cassation valide le raisonnement et la conclusion de la Cour de Paris.
La Cour de Cassation rappelle que toutes les conditions du texte sont bien réunies :
- la question touche bien à l’administration d’une succession, puisqu’il n’est plus possible de faire fonctionner une co-propriété concernant plusieurs lots,
- il existe bien des héritiers, cinq dans ce cas et ils gardent tous leur qualité d’héritier réservataire ; même si l’un d’eux a été institué légataire universel, tous conservent cette qualité qui leur permet de revendiquer leur part (en valeur) dans la succession,
- l’un d’eux (au moins), le légataire universel, a fait preuve d’inertie et de carence ; les juges ne sont pas « tendres » à son égard : il a laissé nombre de factures impayées, il a contesté des charges mais sans véritable raison (puisqu’il n’a pas saisi un juge pour trancher), aucune attestation immobilière n’a été dressée alors que plus de 7 ans se sont écoulés depuis l’ouverture des opérations,
- pire encore, il existe une profonde mésentente entre deux « clans » d’héritiers, sans que quiconque ait assigné le légataire universel,
- les actifs de la succession sont en danger, puisque l’immeuble dans lequel se trouvent plusieurs lots entrant dans l’actif de la succession se dégrade, et par conséquent une part au moins de l’actif de la succession est en cours de perdre de sa valeur.
Surtout, elle écarte l’objection principale avancée par le légataire universel, tant dans ses conclusions d’appel que dans son pourvoi : l’absence d’indivision résultant de sa qualité.
Selon lui, il n’existait et n’existe aucune difficulté : en tant que légataire universel, non seulement il est l’interlocuteur unique, mais aussi le propriétaire unique de tout l’actif de la succession ; il est donc facile de le contacter et de savoir qui doit prendre des décisions concernant les biens immobiliers en co-propriété.
Les hauts magistrats balaient cet argument par une simple formule, se contentant d’affirmer que la désignation d’un mandataire successoral n’est pas réservée aux cas d’indivision et de partage, mais peut concerner « toutes les successions ».
Cette affirmation est parfaitement conforme au texte de loi : on peut relever que l’art. 813-1 code civil ne se situe pas dans les chapitres consacrés à l’indivision, que le mot « indivision », pas plus que le terme « partage » ne figurent dans le texte de l’article.
Une juridiction ne saurait exiger ce que la loi elle même ne demande pas. La solution retenue s’imposait d’autant plus que toutes les autres conditions étaient réunies.
Mais, au-delà, fallait-il poser un tel principe que le mandataire successoral peut intervenir dans n’importe quel type de succession ?
Le texte de l’art. 813-1 code civil précise pourtant bien que ce sont des « héritiers » qui doivent être en cause : ce sont des héritiers – et non pas n’importe quel successeur, légataire ou autre -, auxquels on peut reprocher d’être passifs, fautifs ou en situation conflictuelle.
Dès lors, il paraît difficile de désigner un mandataire successoral lorsqu’il n’y aura pas d’héritiers, mais seulement des légataires, qu’ils soient universels, à titre universel ou à titre particulier.
Ce n’est pourtant pas ce que laisse entendre la cour de Cassation par sa formule générale, visant « toutes les successions ».
A ce stade, il est intéressant de comparer avec les trois autres modèles d’interlocuteur unique en matière successorale, pour constater que deux d’entre eux semblent nécessiter la présence d’héritiers.
Quelle est la différence entre un mandataire conventionnel, un mandataire à titre posthume et un exécuteur testamentaire ?
Le mandataire conventionnel
Selon l’art. 813 code civil, ce sont les héritiers (et pas d’autres successibles) qui peuvent, d’un commun accord, confier l’administration de la succession à l’un d’entre eux ou à un tiers. Donc un ensemble de légataires ne pourrait y avoir recours. Toutefois, les lois régissant le contrat de mandat pourraient permettre à un ensemble de légataires, universels, à titre universels, ou particuliers, d’y parvenir.
Le mandataire à titre posthume
Selon les art. 812 et suiv. code civil, cette faculté n’est ouverte que s’il y a un ou plusieurs héritiers, au sens précis du terme ; donc, en principe, en présence de légataires, une telle possibilité est exclue.
L’exécuteur testamentaire
Le domaine d’intervention paraît, d’emblée, plus large : selon l’art. 1025 code civil, même en l’absence d’héritiers, le testateur peut faire le choix d’un homme qui aura pour mission de s’assurer que ses dernières volontés sont bien respectées. Il vérifiera que les légataires sont bien identifiés, qu’ils sont capables de recevoir ce qui leur est attribué par testament et s’attachera à ce que la transmission soit effective et rapide.
Quelle signification donner au terme « héritier » inclus dans ces divers articles du code civil ?
S’agit-il de l’héritier au sens précis du droit : le conjoint ou le parent d’un degré suffisamment proche pour que la loi le compte, automatiquement, au nombre des successibles tels enfant, ascendant, collatéral, neveu, cousin, etc. au sens de l’art. 734 du code civil qui définit l’ordre de succession ? Ou peut-on admettre que, dans certains textes, on entende par « héritier » n’importe quel successible ?
L’affirmation de la cour de Cassation pourrait relever de cette seconde interprétation, puisqu’elle ne rappelle même pas le terme d’héritier, pourtant bien présent dans le texte de loi, comme noté supra.
Conclusion
Il n’est pas sûr qu’une formulation aussi générale soit, pour les avocats spécialistes en matière de succession et notaires, un guide pour fixer une jurisprudence ; mieux vaut attendre une prochaine décision de la Cour de Cassation pour s’assurer de la totalité des cas dans lesquels un mandataire successoral pourra être désigné.