Modification du contrat de mariage : plus de limites ?

Cour de Cassation – première chambre – 29 mai 2013 – n°12-10.027

Le régime matrimonial, plus connu sous l’appellation «contrat de mariage  », constitue le cadre juridique des relations financières et patrimoniales d’un couple marié. C’est l’ensemble des règles que les époux choisissent pour gérer les revenus de leur travail, de leurs immeubles ou de leurs placements financiers, pour décider, seul ou à deux, de la vente ou de l’achat de meubles ou immeubles, des modalités de paiement de leurs dettes, etc. Autant dire qu’il est, pour eux comme pour leurs relations d’affaires, d’une importance fondamentale.

Ce domaine du droit est réglé par les articles 1387 et suivants du code civil.

Ce sont les futurs époux eux mêmes qui choisissent leur régime matrimonial, avec une très grande liberté dans une large gamme offerte par la loi, de la séparation de biens où chacun agit comme s’il n’était pas marié, à la communauté universelle qui fond les deux patrimoines en un seul géré conjointement par les deux.

Ce choix, qui doit être effectué avant la célébration du mariage, fait le plus souvent suite à la consultation d’un avocat spécialiste ou d’un notaire, qui aura conseillé utilement les futurs conjoints, en fonction de la nature et de l’importance de leur patrimoine, mais aussi des activités professionnelles qu’ils entendent exercer.

A défaut de choix, le code civil a prévu que s’appliquerait le «  régime légal  » dit de la communauté réduite aux acquêts. Il est celui qu’adoptent, implicitement, la majorité des couples, qui l’estiment parfaitement adapté à leur situation patrimoniale, généralement modeste.

Soucieux de tenir compte des évolutions de la famille, des gains et investissements qui ont pu être réalisés, afin également de faciliter les changements d’activités ou d’anticiper la retraite, voire de préparer une succession, la loi offre aux époux la faculté de changer de régime matrimonial, n’y posant qu’une condition de fond, que les nouveau contrat de mariage ou les nouvelles clauses aient pour finalité «  l’intérêt de la famille  ». (article 1397 du code civil).

Cette notion d’intérêt de la famille est, certes, comprise de manière généreuse par les tribunaux, mais elle est nécessaire, et saisis d’un litige en cours de changement, les juges ne manquent pas de relever son existence pour valider le nouveau régime. A défaut, ils refusent d’homologuer ou de confirmer.

La Cour d’Appel de Grenoble se croyait donc dans l’orthodoxie en rendant un arrêt en cette matière, le 2 novembre 2011.

Deux époux s’étaient mariés le 30 juin 2005, sous le régime de la séparation de biens. Par acte notarié du 30 octobre 2007, ils convenaient d’y adjoindre une «  société d’acquêts   », à laquelle le mari seul contribuait, en apportant une part de ses biens présents et à venir. Autant dire que cette formule, assez rare en pratique, dissimulait une donation au conjoint, dans la perspective vraisemblable d’un héritage privilégié.

Ayant changé d’avis, (avait-il recouvré quelque lucidité et perdu ses illusions sur son épouse?), le mari l’assignait en nullité de cette convention, le 27 janvier 2009. Son avocat exposait aux juges que cette société d’acquêts n’était en rien dictée par l’intérêt de la famille, mais servait exclusivement à avantager l’épouse, au détriment du mari.

La Cour d’Appel constatait qu’effectivement, cette modification du régime matrimonial ne correspondait pas à un intérêt familial, que les exigences de l’article 1397 du code civil n’avaient pas été respectées et décidaient d’annuler la société d’acquêts.

Mal lui en prenait  ! Sur pourvoi de l’épouse, intéressée et pugnace, la Cour de Cassation, par arrêt du 29 mai 2013 (1ère chambre arrêt n° 509, sur pourvoi n°12-10.027) vient de casser cette décision. Elle reproche aux juges de Grenoble de s’être contentés de cette absence d’intérêt familial pour remettre en cause la convention notariée. Ils auraient du, pour annuler, établir que l’épouse avait obtenu ses avantages soit par la fraude, soit en profitant d’un vice du consentement (erreur, dol ou violence) de son mari.

Par cet arrêt, la Cour de Cassation admet que les époux peuvent ne pas respecter la loi et qu’un changement de régime matrimonial peut ne pas avoir pour finalité l’intérêt familial, à condition que les deux époux y consentent librement et en pleine connaissance de cause  !!!

Curieuse attitude pour une juridiction dont la seule fonction est de faire respecter le droit, ou réalisme de magistrats qui prennent acte de ce que la notion d’intérêt familial était tellement galvaudée qu’elle en a perdu toute pertinence  et donc toute existence?

Les avocats spécialistes resteront cependant prudents et continueront à conseiller à leurs clients de ne modifier leur contrat de mariage que dans l’intérêt de la famille. Que cet intérêt soit celui des enfants ou celui des parents, qu’il soit direct ou indirect, immédiat ou à terme, laisse quand même de vastes possibilités … légales.

Marie-Christine CAZALS
Avocat spécialiste en droit des successions
Inscrite sur la liste nationale des avocats spécialistes mention droit du patrimoine familial