Cour de cassation – première chambre – 2 avril 2014 – n° 13-12.480
A l’occasion de son mariage avec Madame F…, en 1984, Christian X …, le futur époux reconnaissait Julie F…, la fille de son conjoint, née en 1976.
Il venait à décéder en 2005, et laissait pour lui succéder, sa propre soeur, Isabelle N…, qu’il avait, par testament, instituée légataire universelle et, bien sûr, sa fille, Julie, l’enfant qu’il avait reconnue.
Manifestement persuadée que Julie n’était pas l’enfant de son frère, que la reconnaissance effectuée en 1984, était mensongère et ne constituait qu’un acte de complaisance, la légataire universelle décidait alors d’en demander la nullité et saisissait à cette fin la justice en contestation de la filiation, en 2008.
Si on ignore la motivation de cette demande, encore que le temps écoulé entre le décès et la saisine de la justice suggère quelqu’idée à ce sujet, on en perçoit en revanche très bien les conséquences en matière de succession.
En qualité d’enfant unique, Julie bénéficiait de la moitié de l’héritage de son père et la légataire universelle en recueillait l’autre moitié.
A supposer que fût déclarée inexacte cette filiation, la totalité de la succession revenait alors à la soeur, en sa qualité de légataire universelle.
La Cour d’Appel de Rennes, le 23 octobre 2012, refusait de faire droit à cette demande de nullité de la reconnaissance, estimant que la filiation était devenue inattaquable, en application de l’article 333 du code civil.
Selon ce texte, la filiation devient inattaquable lorsque le titre (le reconnaissance) est corroboré par une possession d’état d’une durée supérieure à 5 ans.
Et dans cette affaire, les juges avaient constaté que pendant (beaucoup) plus de cinq ans, Christian X… avait considéré Julie comme sa fille et vécu avec elle comme un père avec sa fille, de même, pendant cette période, Julie avait considéré Christian X… comme son père et vécu avec lui comme une fille avec son père.
Insatisfaite, Mme Isabelle N… décidait d’un pourvoi en cassation.
L’avocat au Conseil d’Etat choisi développait une argumentation pertinente et très technique, fondée sur des calculs de délai et des dispositions transitoires car la loi avait changé en 2005, pour s’appliquer au 1er janvier 2006 et le délai de 5 ans résultait de ce texte.
Par un arrêt du 2 avril 2014 (Civ. 1 – pourvoi n° 13-12.480), la Cour de Cassation vient de rejeter le pourvoi ; la décision est juste, mais pour une autre raison que celle retenue par les juges rennais !
La Cour de Cassation rappelle que la légataire universelle est irrecevable à contester la filiation de sa nièce, car la loi, en l’espèce l’article 322 du code civil, réserve cette action en justice aux seuls héritiers, au sens technique du terme. Et un légataire universel n’est pas un héritier …
On peut être surpris de ce qui tient davantage de l’affirmation que de la démonstration.
En effet, le légataire universel est traditionnellement assimilé à l’héritier en droit des successions, car il a vocation à recueillir la totalité de l’héritage.
Comme l’héritier, il a la faculté d’accepter ou de renoncer à la succession, avec pour conséquence, comme l’héritier, qu’il est, en cas d’acceptation, tenu au passif et aux charges.
La jurisprudence l’assimile à l’héritier en matière de contrat d’assurance vie : lorsque l’assuré s’est contenté de cocher, dans la rubrique « bénéficiaires » la case : « mes héritiers », c’est le légataire universel, qui en l’absence de tout héritier au sens précis du terme doit recevoir le capital assuré, (cf. Cass. Civ. I. du 4 avril 1978 pourvoi n° 76-12.085).
Sans doute s’agit-il d’une action touchant à l’état de la personne mais cette action possède aussi une finalité patrimoniale, à preuve elle est ouverte à d’autres que l’auteur et le bénéficiaire de la reconnaissance, les héritiers ; et ces derniers n’ont guère d’autre intérêt que l’augmentation ou la diminution du patrimoine dont ils vont hériter.
Sans doute le législateur a-t-il voulu éviter au maximum les remises en cause tardives de liens de filiation, bouleversantes pour les individus concernés et déstabilisantes pour les rapports sociaux fondés sur l’intangibilité, notamment en édictant un délai de 5 ans, qui est finalement assez bref ; et la cour de Cassation a certainement voulu aller dans le même sens, en évitant que trop de personnes puissent intenter ce type d’action.
Elle a entendu réserver aux seuls membres de la famille le droit de contester une filiation et écarter les tiers de toute intrusion dans la sphère familiale.
Il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, le résultat est paradoxal : la soeur du défunt ne peut pas agir en justice, car elle est légataire universelle.
Pourtant le code civil fait figurer les frères et soeurs, au nombre de ceux susceptibles de se voir attribuer la qualité d’héritier … (art. 734).