Assurance vie et succession : primes raisonnables et contrat… utile !

Cour de Cassation – première chambre – 19 mars 2014 – n° 13-12076

Deux époux âgés, avaient souscrit, de 2000 à 2004, plusieurs contrats d’assurance vie, et désigné comme bénéficiaire un seul de leurs trois enfants, leur fille, ainsi que le fils de cette dernière.

Au décès de leur mère, conjoint survivant, les frères contestaient la validité de ces contrats d’assurance vie qui venaient, à leurs yeux, rompre de manière injuste et grave l’équilibre entre héritiers, car le montant de ces avantages échappant au régime du droit des successions, représentait près de 30% de l’actif successoral.

Les avocats des demandeurs développaient, à cette fin, une argumentation innovante fondée sur l’incompatibilité des dispositions légales (art. L132-13 alinéa 1 du code des assurances) avec la convention européenne des droits de l’homme et une argumentation classique à partir de la notion de « primes manifestement exagérées » (art. L132-13 alinéa 2 du code des assurances).

Si le tribunal leur donnait raison sur la seconde, la cour d’appel de Rennes écartait l’une et l’autre, par un arrêt du 3 juillet 2012.

Au terme d’une solide motivation, elle estimait que le régime juridique de l’assurance vie organisé par le droit français ne contrevenait pas à la législation européenne et que les primes ne pouvaient être qualifiées de « manifestement exagérées », car elles représentaient moins de 25% du patrimoine des époux au moment des versements.

Evidemment mécontents de cette décision, les demandeurs formaient un pourvoi en cassation, soutenu par mémoire de leurs avocats sur au moins ces deux points.

Par arrêt du 19 mars 2014 (n° de pourvoi : 13-12076), la première chambre civile de la cour de Cassation approuve la cour d’appel sur la question de la compatibilité du droit français de l’assurance vie avec la convention européenne des droits de l’homme, mais la sanctionne sur la question des primes ; non pas qu’elle estime que les dites primes aient été d’un montant « manifestement exagéré », mais parce que la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur l’utilité des contrats d’assurance vie pour le couple souscripteur !

Ce faisant, la cour de cassation ajoute une condition que la loi ne prévoit nullement : pour que les primes d’un contrat d’assurance vie ne soient pas soumises aux règles du rapport à la succession et de la réduction pour atteinte à la réserve, l’article L132-13 du code des assurances exige uniquement qu’elles ne soient pas « manifestement exagérées eu égard aux facultés de l’assuré » ; pas un mot sur l’utilité du contrat …

Les avocats spécialistes en droit des successions, pourtant, connaissent bien cette jurisprudence et ceux des demandeurs n’avaient pas manqué de s’y référer. La cour d’appel a sans doute été un peu trop rapide dans sa rédaction.

En ajoutant une telle condition, la cour de Cassation demande aux juges de vérifier que l’opération est d’abord un véritable contrat d’assurance et qu’il a donc une utilité pour le ou les souscripteurs ; il peut s’agir, par exemple, d’un placement financier intéressant, d’une garantie face à un accident de santé imprévu aux conséquences coûteuses ou de la préservation d’un certain niveau de vie jusqu’au jour du décès.

L’avocat spécialiste en droit des successions ne peut que se réjouir à la pensée que par cette exigence supplémentaire, maintenant classique, la cour de Cassation rappelle aux juges l’attention qu’ils doivent porter à toutes les formes de détournement d’héritage et l’obligation qu’ils ont de sanctionner toute fraude, en l’espèce aux principes fondamentaux du droit des successions : le contrat d’assurance vie ne doit pas avoir pour but exclusif de faire échapper tout ou partie du patrimoine à ces règles impératives.

L’expérience contentieuse des détournements successoraux laisse le même avocat spécialiste quelque peu sceptique sur la portée réelle de cette exigence additionnelle : il ne sera pas très difficile de trouver une formule d’assurance vie ayant pour véritable finalité la transmission d’une fraction de patrimoine en marge des règle du code civil, tout en ménageant une utilité… apparente !

Marie-Christine CAZALS
Avocat spécialiste en droit des successions
Inscrite sur la liste nationale des avocats spécialistes mention droit du patrimoine familial