La validité d’un testament ou la lettre et l’esprit

Cour de Cassation – première chambre – 5 mars 2014 – n° 13-14093

« La lettre tue, l’esprit vivifie » rappelait Saint Paul. Dans sa laïcité toute républicaine, la Cour de cassation vient d’en fournir une nouvelle illustration, cette fois ci en matière de testament et d’héritage.

Ce faisant, n’aurait elle pas outrepassé son rôle de juge ?

Un plaideur reprochait à la cour d’appel d’Agen d’avoir refusé d’annuler le testament olographe d’une dame âgée, certes entièrement écrit de la main du testateur et par lui signé, mais, faisait justement remarquer son avocat, dépourvu de toute date.

L’affaire paraissait importante, car par cet acte, une vieille dame, usant de sa liberté de donner la quotité disponible, léguait divers biens à son aide ménagère, au grand dam d’un précédent légataire ! Ce dernier se prévalait d’un autre testament olographe, le désignant comme légataire et dans lequel, l’aide ménagère n’y figurait en rien, et surtout pas en qualité de légataire. Le demandeur venait de perdre une part importante d’héritage !

Dans le mémoire venant au soutien du pourvoi, son avocat spécialisé rappelait que selon les dispositions de l’article 970 du code civil, le testament doit non seulement être écrit et signé de la main de son auteur, mais aussi daté, et ce à peine de nullité.

Par un arrêt du 5 mars 2014, la cour de cassation (1ère chambre pourvoi n° 13-14093) écarte cet argument et, rejetant le pourvoi, approuve les juges du fond.

Pour ce faire, la haute juridiction confirme le raisonnement en deux temps des magistrats agenais.

Elle relève tout d’abord que l’on peut déterminer avec certitude la période au cours de laquelle ce testament a été rédigé, grâce à divers éléments de fait, mentionnés dans l’acte, (éléments intrinsèques), corroborés par des constatations extérieures à cet acte, (éléments extrinsèques).

Ainsi le testament n’avait pu être rédigé qu’entre juin 2001, date de la première rencontre et de l’embauche de l’aide ménagère, et le 9 janvier 2008 date du décès de la vieille dame.

Elle approuve ensuite les juges d’en tirer deux conséquences.

La première : le testament dont se prévaut l’aide ménagère est sans aucun doute postérieur au testament, daté de 1985, dont se prévalait le demandeur insatisfait ; en conséquence de quoi, il est le seul à s’appliquer et révoque toutes les dispositions antérieures.

La seconde : comme il n’est nullement démontré que la testatrice ait été, à quelque moment que ce soit de cette période dans l’incapacité de tester, pour « insanité d’esprit », ce testament doit s’exécuter. Les magistrats avaient d’ailleurs relevé surtout des signes de sa grande lucidité et son entière volonté, jusqu’à son dernier jour.

On retrouve, dans cet arrêt, une ligne de conduite déjà engagée par une décision antérieure, posant les mêmes principes, que les avocats spécialistes en droit des successions connaissent bien : Cour de Cassation 1ère chambre 10 mai 2007 pourvoi n° 05-14366.

La Cour de Cassation « enfonce donc le clou » et ne censure pas les juges d’appel qui prennent des libertés avec la lettre de ce texte essentiel du droit des successions.

Au contraire elles les engagent à faire prévaloir l’esprit du texte légal, en se livrant à une exégèse de cet article essentiel en matière d’héritage.

La loi exige la mention, dans le testament, de la date pour deux raisons.

La première : garantir que le testament produit devant le notaire est bien le dernier rédigé et qu’il constitue bien ainsi les « dernières volontés » du défunt.

La seconde : permettre de s’assurer qu’au moment de sa rédaction, le testateur disposait bien de toutes ses facultés mentales et qu’il n’a été la victime d’aucun abus de faiblesse.

S’il est démontré que ces deux conditions sont réunies, les juges peuvent valider un testament sans date !

Ce faisant, la Cour de Cassation est elle bien dans son rôle d’appliquer la loi ou s’arroge-t-elle le droit, devant un texte clair, de ré-créer la loi, en « oubliant » purement et simplement une des composantes de la validité d’un testament ?

Cette juridiction avait déjà, de manière exceptionnelle espère-t-on, pris quelques libertés avec l’exigence d’une signature, en se contentant de la mention finale manuscrite du prénom et du nom du testateur : cf C.Cass 1ère Civ. 22 juin 2004 pourvoi n° 01-14031.

Va-t-on également assister à des « assouplissements » en ce qui concerne la rédaction entièrement manuscrite en raison des évolutions techniques et de l’évolution des modes de communication, ou la haute juridiction attendra-t-elle d’éventuelles réformes législatives, par exemple dans la perspectives du « testament international » (décret du 8 novembre 1994).

On ne saurait pour autant conseiller à celle ou celui qui entend faire respecter sa volonté de régler son héritage par testament, autant de légèreté que paraît le permettre, en l’état, la jurisprudence !

Mieux vaut respecter la loi, cela évite bien des discussions et des procédures entre héritiers !

Marie-Christine CAZALS
Avocat spécialiste en droit des successions
Inscrite sur la liste nationale des avocats spécialistes mention droit du patrimoine familial