Article mis à jour le 16 juin 2021
Le contrat d’assurance vie a été créé à l’origine pour constituer une épargne, en vue de la retraite ou pour prévenir les conséquences catastrophiques du décès prématuré d’un parent. Il a progressivement évolué pour devenir un mode de transmission de tout ou partie d’un patrimoine, en suite du décès.
Il présente, en effet, un avantage désormais bien connu : faire échapper aux règles du droit des successions le montant du capital (ou de la rente) qui sera versé au bénéficiaire, après le décès du souscripteur. Le code des assurances le rappelle de manière très claire :
art. L132-12
« Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. »
L132-13 al 1
« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. »
Pas question pour autant, rappellent les avocats spécialistes en droit des successions, de transformer cette technique juridique en panacée de l’exhérédation. En effet, tout n’est pas permis. Comme souvent en droit, il convient de garder le sens de la mesure et d’agir comme « un bon père de famille », selon la vieille expression du code civil. Préférer un enfant à un autre, favoriser un tiers, pourquoi pas… priver un descendant de tous ses droits légaux, c’est non !
C’est l’article L132-13 al 2 qui va poser la barrière entre le possible et l’interdit :
« Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »
Si le souscripteur du ou des contrats d’assurance-vie a payé des primes d’un montant sans mesure correspondant à ses moyens, les fonds ainsi investis devront être réintégrées dans l’actif de la succession.
Reste à déterminer ce que sont des primes « manifestement exagérées ».
Quand peut-on parler de primes « manifestement exagérées » ?
Une décision de la plus haute juridiction française (Cour de cassation – Chambre civile 1 – 16 décembre 2020 – n°19-17.517) vient de confirmer et préciser le droit à ce sujet.
Un homme, veuf, à la retraite et bénéficiant à ce titre de revenus dits « confortables », décédait en 2009, laissant pour lui succéder sa fille et ses trois petits-fils venant par représentation de leur père pré-décédé. A l’ouverture de la succession, les trois petits-enfants découvraient que leur grand-père avait, entre 1995 et 1998, soit en à peine 3 ans, souscrit huit contrats d’assurance sur la vie. Les primes versées (dont le montant légèrement supérieur à 2 M €) représentaient 61 % de son actif successoral. Tous ces contrats bénéficiaient exclusivement à sa fille.
S’estimant gravement lésés par ce détournement, les trois petits-enfants saisissaient la justice. Ils demandaient que les sommes perçues par leur tante soient réintégrées dans l’actif de la succession et partagées selon les règles de droit successoral. En effet, leurs avocats faisaient valoir que le montant des primes était manifestement exagéré.
La Cour d’appel de Douai leur donnait raison le 28 février 2019 ; leur tante formait un pourvoi en cassation, au motif que c’est à tort que les juges avaient considéré que les primes étaient « manifestement exagérées ». En vain, par l’arrêt pré-cité, la Cour de Cassation approuvait l’analyse des juges et rejetait le pourvoi sur ce point de droit.
Cet arrêt présente l’intérêt de lister les critères à prendre en considération pour juger du caractère manifestement exagéré ou non des primes.
Quels sont les critères pour fixer le montant des primes ?
1. Les revenus et le patrimoine
Les juges font référence à ce double critère :
- quelles étaient les ressources du souscripteur à la période au cours de laquelle il a contracté les assurances ?
- quelles étaient la nature et la valeur de son patrimoine ?
Les ressources s’apprécient toutes origines confondues : qu’il s’agisse du travail, de revenus de capitaux ou d’immeubles, de « royalties » ou de loyers, de pensions ou de retraites, voire de gains au jeu, peu importe. C’est le total qui est pris en compte.
On cherche également si, à un moment donné, l’assuré a réalisé des bénéfices exceptionnels qui justifieraient un investissement dans un contrat d’assurance-vie. C’est au moment de la souscription par contre qu’il convient de faire rétrospectivement le calcul, ce qui peut susciter de sérieuses difficultés de preuve, notamment auprès des banques. En effet, ces dernières ne sont tenues de conserver la mémoire des opérations de leurs clients que pour les 10 dernières années.
Les magistrats apprécient également la nature et la valeur du patrimoine, toujours au moment du versement des primes : le souscripteur disposait-il principalement de capitaux ou plutôt d’immeubles, et quel en était le montant dans la période où il a contracté ? A-t-il bénéficié d’un héritage ou d’une donation qui a soudain augmenté la valeur de ses biens et l’a poussé à choisir ce mode d’épargne ?
S’agissant de ce critère, il est cependant à noter que c’est aussi au moment de l’ouverture de la succession que le patrimoine (en actif net) est examiné : les juges ont eu raison de souligner, dans l’affaire citée précédemment, que le montant des primes représentait plus de 60 % de l’actif successoral.
A travers ces recherches, il faut établir qu’en souscrivant un ou plusieurs contrats et en versant des primes d’un certain montant, le souscripteur a opéré un acte de gestion sensé et raisonnable, en correspondance avec son mode de vie et ses moyens. Tous les faits entrent alors en ligne de compte : prime unique ou primes multiples, périodicité, concomitance avec un évènement patrimonial, etc. S’il apparaît une incohérence économique, le doute s’installe et il va falloir passer au critère suivant et étudier l’utilité du contrat.
Encore faut-il que cette incohérence soit d’une ampleur certaine, puisque les primes doivent être non pas exagérées, mais « manifestement » exagérées. Par expérience, les avocats spécialistes du patrimoine familial et les juges savent bien que les familles ne gèrent pas leur budget comme des experts comptables et qu’il faut laisser une marge d’approximation, respectueuse de la liberté, de la personnalité, voire de la fantaisie de chacun.
Il n’existe évidemment pas de « pourcentage automatique », c’est une appréciation au cas par cas à laquelle il faut se livrer.
2. L’utilité personnelle des contrats
Ce critère ne figure pas dans le code des assurances, il a été ajouté par les tribunaux et la Cour de Cassation exige que les magistrats s’y réfèrent, sous peine de cassation. Par ce moyen, les juges veulent s’assurer que le contrat d’assurance-vie a bien été souscrit pour ce qu’il est, c’est-à-dire une mesure d’épargne-prévoyance.
Il peut s’agir de l’intérêt (entendu dans un sens large) personnel de l’assuré : prévoir une épargne pour une période à venir au cours de laquelle les dépenses augmenteront ou les revenus diminueront, par exemple, lorsqu’il faudra payer les études des enfants, affronter une période d’inactivité professionnelle (maladie, chômage) ou garantir un niveau de vie convenable à la retraite.
Il peut aussi s’agir d’un projet altruiste, en particulier permettre à la famille de subvenir à l’essentiel de ses besoins, en cas de disparition brutale et/ou prématurée de celui ou celle qui assume des charges du couple et des enfants.
L’existence d’un tel projet ou intérêt personnel va constituer une raison plausible à des primes qui apparaissaient a priori particulièrement importantes et va laisser présumer que l’opération, même d’un coût élevé, est raisonnable. Il faudra tout de même s’assurer à de la concordance entre le coût et le résultat à atteindre. Si tel n’est pas le cas, il faut alors s’interroger sur le but réel poursuivi par le souscripteur.
3 – L’intention du souscripteur
Ayant constaté le montant élevé des primes, n’ayant pas été convaincus de l’utilité économique ou sociale de contrat, les tribunaux vont, en dernier recours, s’interroger sur la volonté réelle de celui qui a conclu un tel contrat d’assurance-vie.
A partir des éléments objectifs décrits précédemment, qui les a laissés dans le doute, les juges vont « sonder l’âme » de l’assuré. Avait-il manifesté une animosité particulière contre l’un de ses héritiers réservataires ou entendait-il rétablir un équilibre au profit d’un enfant défavorisé ? Voulait-il léser un conjoint au profit d’une maîtresse soigneusement dissimulée auparavant ou remercier un ami dont l’assistance et le dévouement lui ont été d’un secours inestimable ?
Les dernières volontés, mais aussi les écrits, les témoignages, les échanges de courriers électroniques, produits par les avocats des parties au procès vont servir de moyen de preuve pour mettre en évidence ou anéantir la thèse de la fraude au droit des successions par le biais du contrat d’assurance-vie.
En pratique, la question du caractère manifestement exagéré des primes oblige les professionnels du droit du patrimoine familial, et en particulier les avocats spécialistes en droit des successions, à un examen approfondi, avec leur client, de tout un ensemble de faits et d’évènements, d’écrits et d’attestations, de pièces et d’actes, avant de prendre la décision de se lancer dans la contestation, amiable ou contentieuse.
Le cabinet Cazals possède une expertise reconnue dans ce domaine et peut vous accompagner si vous souhaitez contester un contrat d’assurance-vie dans le cadre d’une succession litigieuse. Contactez-nous !