(Cour de Cassation – 1ère chambre civile – 5 décembre 2018 – n°17-31189)
Le paiement de la taxe d’habitation ne devrait donner lieu à aucune difficulté, au visa de son appellation même : elle est à la charge de l’habitant d’un immeuble.
C’est ce que prévoit l’art.1408 du code général des impôts :
« La taxe est établie au nom des personnes qui ont, à quelque titre que ce soit, la disposition ou la jouissance des locaux imposables. »
Et, en application de ce texte, une jurisprudence constante (et fort ancienne) du Conseil d’Etat rappelle que lorsque des époux sont en instance de divorce et que la femme a été autorisée à résider séparément, celle-ci doit être assujettie personnellement pour cette résidence à la taxe d’habitation (C.E. 27 juillet 1934).
Ce n’est pourtant pas, apparemment, le sens de la décision de la Cour de Cassation dans son arrêt dont ci-dessus références.
Deux époux, mariés sous un régime de communauté, font l’acquisition d’un grand appartement, à Paris, qui va devenir le logement familial des deux conjoints et de leurs enfants.
Quelques années plus tard, le couple divorce ; l’épouse est, semble-t-il, autorisée à résider au domicile familial le temps de la procédure. Cette habitation, avec ses enfants, se prolonge après le prononcé du divorce.
Et, à titre d’occupante des lieux, elle reçoit l’avis de taxe d’habitation ; elle en règle le montant.
Mais, la situation ne saurait se prolonger indéfiniment, car il faut, après le jugement de divorce, tirer les conséquences patrimoniales de cette séparation. Les époux avaient acquis ensemble cet appartement, sans doute au titre du régime matrimonial de la communauté ; or, le régime matrimonial prend fin avec le mariage, c’est à dire au moment où le divorce devient définitif.
A compter de ce jour, la communauté fait place à l’indivision et les époux auparavant communs en biens, deviennent propriétaires indivis.
S’ils s’entendent bien et si les revenus de chacun le permettent, ils peuvent rester autant qu’ils le souhaitent dans cette situation, à charge, par exemple, pour l’épouse occupante de payer un loyer ou une indemnité d’occupation.
Mais, si l’un des deux le demande, il va falloir mettre un terme à cette indivision. En effet, selon l’art. 815 code civil :
« Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. »
Pour une raison que la procédure devant la Cour de Cassation ne révèle pas, et sans doute après un échec d’une tentative de partage amiable, l’ex-mari sollicite un partage judiciaire, incluant la vente en justice (licitation) de l’appartement occupé par son ex-épouse. Pour lui, pas question de rester dans une indivision indéfiniment bloquée, au bénéfice (?) de son « ex ».
S’agissant d’un ensemble se composant d’un appartement de 5 pièces, d’une cave et d’un emplacement pour voiture, dans Paris, sa valeur dépasse les moyens de l’occupante ; ses faibles revenus ne lui permettent pas de verser une soulte correspondant à la valeur de la part de son ex-conjoint.
La seule solution est alors la vente, amiable ou en justice, comme le prévoit l’art. 1377 code procédure civile :
« Le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués. »
Le demandeur obtient effectivement des juges du tribunal et de la cour d’appel une décision fixant les conditions de la vente en justice ; la défenderesse se trouve dans l’incapacité de proposer une autre solution de partage ou d’attribution.
A la différence du conjoint survivant, le conjoint divorcé ne bénéficie pas d’un droit au maintien dans les lieux du domicile familial ; le droit des successions est plus généreux que le droit du divorce. On le comprend aisément, les circonstances et les perspectives de l’une et l’autre rupture ne sont pas les mêmes.
A défaut de pouvoir rester dans les lieux, l’ex-épouse demande le remboursement des frais et dépenses qu’elle a pris en charge depuis le divorce pour entretenir l’appartement, et ce conformément aux dispositions de l’art. 815-13 code civil :
« Lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés.
Inversement, l’indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute. »
Parmi ces débours, elle fait figurer la taxe d’habitation dont elle a acquitté le montant sur une ou plusieurs années.
Bien entendu, l’ancien mari s’y oppose au nom d’un raisonnement simple : la taxe d’habitation doit être payée par l’habitant, or l’habitant est, en l’espèce, l’ex-épouse, donc c’est elle qui doit prendre cet impôt en charge ! Pourquoi y serait-il tenu, alors qu’il n’avait même pas accès à cet appartement et encore moins en avait-il l’usage !
C’eût été différent s’agissant de la taxe foncière, due par le ou les propriétaires.
La Cour d’Appel de Paris juge ce raisonnement inattaquable et donne raison à l’ex-mari, dans son arrêt du 30 novembre 2016. La taxe d’habitation reste à la charge exclusive de l’ex-épouse, puisqu’elle est « l’habitante ».
Dans le pourvoi qu’elle forme, cette dernière critique plusieurs chefs de la décision de la Cour d’Appel de Paris, dont cette question de la taxe d’habitation.
Elle échoue pour une large part, mais l’emporte en ce qui concerne la taxe d’habitation ! La Cour de Cassation considère que la taxe d’habitation doit être prise en charge par les co-indivisaires proportionnellement à leurs droits dans l’indivision et non par la seule occupante des lieux, et ce par application de l’art. 815-13 code civil cité supra : selon la haute juridiction, « le règlement de cette taxe avait permis la conservation de l’immeuble indivis ».
On peut, sauf à être avocat spécialiste en matière d’indivision, rester perplexe devant une telle affirmation, qui semble dénaturer le principe même de cet impôt et violer le droit.
Mais, d’une part, ce serait oublier les sanctions fiscales inhérentes au défaut de paiement.
En effet, en cas de non-paiement de cette taxe, les services fiscaux peuvent mettre en oeuvre une procédure contraignante qui, à l’extrême, risque d’aboutir à la mise en vente forcée de l’immeuble et donc à sa disparition du patrimoine indivis des deux ex-époux. En payant la taxe d’habitation, l’un des deux indivisaires a bien contribué à la conservation (sans amélioration) du bien, et il a à ce titre, droit au remboursement des sommes qu’il a avancées.
D’autre part, ce serait confondre deux mécanismes très différents : celui construit par le droit fiscal qui règle, souvent au plus simple, la relation financière entre les citoyens et l’Etat, et celui résultant du droit civil qui règle les relations entre individus.
Le texte du code général des impôts repris plus haut se contente de fixer les modalités et conditions d’établissement de la taxe d’habitation ; le « redevable », vis à vis du fisc est celui qui a la libre disposition ou la jouissance des lieux.
Mais rien n’interdit que la dette ne vienne finalement peser sur une ou plusieurs autres personnes : co-indivisaires, sociétaires, associés, conjoints, « pacsés », etc.
Le droit fiscal n’entend pas perdre de temps à chercher sur qui doit, au bout du compte peser la charge de la dette d’une taxe, l’apparence lui suffit, en l’espèce cette apparence est l’habitation.
Il laisse au droit civil, dont c’est bien la raison d’être, le soin d’analyser les relations patrimoniales et financières entre individus, selon leur statut et leurs conventions.
Pour qui trouverait que cette solution est « injuste », la cour de Cassation, rappelle que l’équilibre des relations patrimoniales entre les ex-époux sera, de toutes façons, rétabli par le biais de l’indemnité d’occupation que « l’habitante » devra verser à son co-indivisaire, son ex-mari.