Cour de Cassation – première chambre civile – 15 mai 2018 – n° 14-11123
Par l’arrêt dont référence ci-dessus, la Cour de cassation rappelle un principe de droit des successions élémentaire et, en même temps, de pur bon sens : on ne peut léguer le bien d’autrui !
La Cour d’Appel d’Aix en Provence avait dans sa décision du 3 décembre 2013 procédé à un impossible mélange des genres, entre le droit des sociétés et le droit de propriété et de ce fait, sa décision est cassée.
Dans un testament, passé par acte authentique le 20 octobre 2003, Paul X… léguait à un de ses deux enfants, Ange X… divers biens immeubles et meubles et à Mme S…, une amie, un appartement situé à Saint-Tropez, d’une valeur de plus de 315.000 €.
Paul X… détenait ces divers biens via une société en nom collectif T… dont il était l’associé largement majoritaire, possédant 499 parts sur les 500 existantes ; sont fils Ange était porteur de la dernière part.
Mme S… réclamait, au décès du testateur, la délivrance de son legs ; les deux enfants et un exécuteur testamentaire s’y opposaient.
Ils obtenaient gain de cause devant le tribunal.
Mais, sur appel relevé par Mme S…, la Cour d’Aix en Provence, par arrêt du 3 décembre 2013, infirmait la décision et jugeait que l’appelante devait recevoir son legs, à charge pour elle de reverser 1/500 de sa valeur aux héritiers. Pour justifier ce choix, les magistrats estimaient que telle avait été la volonté de Paul X …, qu’elle n’était pas illicite et qu’il convenait donc de la respecter.
Saisie sur pourvoi des enfants, la Cour de Cassation rappelle, sèchement, deux règles :
l’une en droit des affaires, selon laquelle le patrimoine d’une société en nom collectif ne se confond pas avec le patrimoine d’un associé, fût-il largement majoritaire,
l’autre énoncée à l’art. 1021 du code civil : le legs de la chose d’autrui est nul.
L’appartement de Saint-Tropez appartenait à la société en nom collectif T… et pas à Paul X…, donc Paul X… ne pouvait le léguer !
Les juges aixois avaient tenté de contourner cet obstacle en faisant valoir que les dispositions de l’art. 1021 « n’étaient pas d’ordre public », c’est à dire qu’un testateur pouvait, licitement, ne pas les respecter et donc léguer la chose d’autrui.
Ce faisant, ils ne faisaient que reprendre une formulation de la Cour de Cassation elle-même, dans un arrêt de la première chambre du 28 mars 2006 pourvoi n° 04-10.596.
Dans son arrêt du 15 mai 2018, la Cour de Cassation n’aborde même pas la question, se contentant du syllogisme fondé sur les deux règles ci-dessus rappelées.
Il est intéressant de noter que, voilà quelques années, dans des situations semblables, alors que cet argument avait été soulevé par les plaideurs, la Cour de Cassation avait eu une réponse identique et ignoré purement et simplement ce point de droit, se contentant déjà de réaffirmer le principe, au vu de la constatation strictement objective que le testateur avait légué des biens ne lui appartenant pas : Cour de cassation – première chambre – 9 décembre 2009 – n° 08-17.351 et Cour de Cassation – première chambre – 9 décembre 2009 – n° 08-18677.
Deux explications possibles pour ces trois arrêts : les circonstances ne se prêtaient pas à un débat sur le caractère d’ordre public de l’interdiction du legs d’autrui ou les hauts magistrats souhaitent revenir sur cette affirmation.
Il est certain que l’application pure et simple de cette interdiction de donner (par donation ou par legs) la chose d’autrui aurait le mérite de la clarté et de la simplicité ; permettre des accommodements entraîne la plupart du temps à des incertitudes et donc à des contestations.
Respecter la volonté du défunt est bien une des priorités, pour les avocats spécialistes et les notaires, de la pratique du droit des successions, mais à condition que le testateur ait lui-même respecté la loi !