
Plaider peut devenir un véritable cadeau … c’est à dire gagner une cause en y croyant, et en sentant ce qui peut convaincre un tribunal.
Il n’avait que vingt-quatre ans et j’avais le même âge, tout juste inscrite au Barreau, j’étais si heureuse de commencer ce métier, et je sais bien que je n’y connaissais pas grand-chose, mais j’y croyais.
Il rentre dans le bureau, j’étais commise d’office, c’est à dire que votre Bâtonnier vous nomme pour défendre en matière pénale un délinquant. Au début, on désigne les jeunes avocats pour qu’ils apprennent, et c’est vrai que c’est une excellente façon de faire son apprentissage et de goûter à l’adrénaline des prétoires.
Il était devant moi, assis, cheveux ébouriffés et il était poursuivi pour vol.
– Qu’avez-vous volé ?
– J’ai volé un manteau de fourrure dans un centre commercial pour ma copine.
– Mais pourquoi ?
– Il faut que je lui plaise, car son copain d’avant avait beaucoup de moyen et je veux être à la hauteur. J’ai pensé lui offrir un manteau de fourrure pour la Noël.
Du haut de mes quelques mois de Barreau je me disais qu’il fallait bien être idiot pour prendre de tels risques juste pour « être à la hauteur », et pour mieux le comprendre je lui ai demandé :
– De quoi vivez-vous ?
– Je vends des paniers sur les marchés.
– Et vos parents, ils s’occupent de vous ?
Mes questions étaient nécessaires pour comprendre son geste, et banales.
D’une seule traite, il me répond :
– Ma mère n’est plus là.
Mon père a tué ma mère de dix-huit coups de couteau, il est emprisonné maintenant, et je ne le vois plus, mais j’ai une sœur et je suis très content avec elle, mais je suis un peu énervé car elle a voilé la roue de son solex mais je suis content car elle ne pèse plus que 120 kilos.
Comment démarrer avec un simple vol de manteau, et finir en quelques secondes avec une histoire tragique dont chaque fait et propos rapportés sont réels.
Comment imaginer que ce garçon pouvait avoir une vie paisible lorsque, si jeune, il s’est trouvé face à une telle tragédie ? A côté de ce qu’il m’a raconté en une seule phrase contractée qui était toute la tragédie de sa vie commençante, le manteau volé n’avait plus grande importance.
Devant le tribunal, j’ai seulement répété en une seule phrase de quelques secondes sa propre phrase. Je ne voulais plaider rien d’autre, car tout était dit.
Le tribunal écoutant une plaidoirie minimaliste d’une seule phrase, a tout simplement décidé de le relaxer, mais en a profité pour lui dire « paternellement » que la vie ce n’était pas de faire n’importe quoi et de voler, pour une copine.
C’était la veille de la Noël, ce fut son cadeau de Noël. Ce fut aussi le mien, car j’étais heureuse pour lui et une seule phrase avait convaincu le tribunal.