(Loi du 23 mars 2019)
De nombreux messages d’information actuellement diffusés par les médias rendent compte de la réforme opérée par quelques unes des dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 : désormais, les majeurs sous tutelle ou sous curatelle peuvent se marier librement.
De nombreux messages d’information actuellement diffusés par les médias rendent compte de la réforme opérée par quelques unes des dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 : désormais, les majeurs sous tutelle ou sous curatelle peuvent se marier librement.
Il ne s’agit nullement d’une transposition du droit européen, puisque la Cour européenne avait, le 25 octobre 2018, validé le système français qui, alors, exigeait des autorisations préalables. Ce libéralisme législatif vient dans le prolongement de facultés déjà existantes favorisant, autant que possible, dans l’intérêt de la personne protégée, son autonomie et le respect de sa dignité.
La mesure a surpris et suscite perplexités et inquiétudes chez bien des notaires et avocats spécialistes : des difficultés s’annoncent, qu’il s’agisse du consentement au mariage ou de ses conséquences.
Le consentement au mariage
Avant l’entrée en vigueur de cette loi, les personnes placées sous tutelle ou curatelle, dites « incapables majeurs » ne pouvaient pas se marier sans autorisation, soit du curateur, soit du juge. (art. 460 code civil ancien)
Depuis le 25 mars 2019, le majeur sous tutelle ou sous curatelle peut donc se marier sans autorisation préalable de qui que ce soit, curateur, tuteur ou juge, à condition qu’il justifie avoir fait part de son projet à son tuteur ou son curateur. (art. 460 code civil actuel)
En théorie. Car la même loi ne modifie en rien le texte de base du consentement au mariage, l’art. 146 du code civil, qui date de 1803 et reste ainsi rédigé :
« Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement. »
Et ce consentement doit être parfait, exempt de toute forme de contrainte ou d’une erreur sur les qualités substantielles du futur conjoint. (art. 180 code civil)
Il va donc falloir combiner ces deux exigences légales.
Les changements apportés par la nouvelle loi
Manifestement, la seconde loi l’emportera toujours sur la première. Le nouveau droit ne change rien à ce principe fondamental : l’incapable ne pourra se marier que s’il possède le discernement nécessaire, soit parce que cela résulte de son état général, soit parce qu’il bénéficie de plages de lucidité suffisante pour comprendre la portée d’un tel engagement. Plusieurs textes invitent les divers intervenants à s’en assurer.
Tout d’abord, le curateur et le tuteur : informé du projet de mariage, il pourra former opposition auprès du maire, s’il estime que son protégé ne peut fournir un consentement éclairé. (art 175 code civil)
Tout comme le maire, ou son adjoint chargé du mariage, peut lui aussi saisir le procureur de la République lorsqu’il lui apparaît que le consentement de l’incapable majeur ne satisfait pas aux conditions légales. (art. 175-2 code civil)
On aboutira alors, de manière classique, à une décision d’expertise de la part du juge chargé de trancher sur l’opposition formée.
On peut dès lors prévoir que cette nouveauté de la loi du 23 mars 2019 n’aura (sauf carence conjointe du maire et du tuteur ou du curateur) qu’une portée très limitée : les candidats au mariage souffrant d’un trouble psychique ou neuropsychique abolissant ou altérant gravement leur discernement, seront ainsi dissuadés de poursuivre.
Les seuls projets de mariage qui pourront aboutir sont ceux qui auraient, auparavant, reçu l’autorisation du curateur ou celle du juge, c’est à dire ceux pour lesquels le consentement suffisant du majeur protégé est établi. Au lieu d’un contrôle préalable au projet, on a glissé vers un contrôle concomitant.
Il vaut d’ailleurs mieux que cette réforme ne relève que de l’affichage, car les conséquences juridiques risquent d’être pour le moins fâcheuses.
Les conséquences du mariage
Point n’est besoin d’être devin (une expérience d’avocat spécialiste ou de notaire suffit) pour imaginer les manoeuvres d’un futur (ou d’une future) conjoint plus intéressé par le patrimoine du majeur protégé que par la vie commune avec lui. L’incapable ne risque-t-il pas de devenir la proie d’aventuriers ou aventurières sans scrupules, bien décidés à profiter d’une fortune d’autant plus facile à atteindre que son propriétaire se trouve en situation de faiblesse ?
En effet, le mariage produit diverses conséquences patrimoniales susceptibles de nourrir les appétences de personnes, juridiquement capables mais peu regardantes sur les moyens.
Les unes concernent les enfants du couple : elles n’appellent pas d’observations particulières dans la mesure où les devoirs des parents mariés ne diffèrent guère de ceux des parents non mariés, lesquels sont déjà largement réglés par les textes existant. Que le majeur protégé enfante en mariage plutôt qu’hors mariage ne change rien.
Les autres résultent spécifiquement du mariage ; si la communauté de vie, la fixation de la résidence familiale ou la gestion du quotidien du ménage (art. 215 code civil) ne poseront aucune difficulté, il pourrait en être autrement des obligations alimentaires et des charges du mariage.
Les obligations entre époux
Tout d’abord, à la différence d’un concubin ou d’un compagnon, un époux est tenu d’une obligation alimentaire à l’égard de son conjoint, autant que dure le mariage. (art. 212 code civil)
Quelle protection contre les desseins d’un ou une prétendant(e) au mariage qui ne serait véritablement intéressé(e) que par cette « sécurité » ? Sans doute l’arbitrage du juge des tutelles ou du juge aux affaires familiales contiendra-t-il les demandes à un niveau raisonnable, mais il ne pourra (sauf cas de fraude avérée) dispenser d’exécution de cette obligation, et encore, faudra-t-il qu’il soit saisi.
En outre, et c’est fréquemment ignoré, chaque époux est également tenu d’une obligation alimentaire envers ses beaux parents. (art. 206 code civil)
Le mariage risque d’avoir pour effet de contraindre un incapable majeur à nourrir, non seulement un conjoint, mais aussi ses parents, voire dans la pratique, « un clan familial ». Hypothèse sans doute peu fréquente, mais pas pour autant inexistante. Là encore, seul le juge pourra faire barrage à des exigences excessives, mais sans pour autant dispenser de versement.
Ensuite, le mariage oblige chacun des deux à prendre en charge les dépenses afférentes au ménage, en proportion de ses moyens. (art. 214 code civil)
Les dispositifs de protection
Comment éviter que ce soit le seul majeur protégé qui, de fait, contribue à la totalité des charges du mariage, le conjoint économisant la totalité de ses revenus ?
Sans doute, la loi a-t-elle prévu la possibilité de protéger les biens et revenus du majeur en permettant au tuteur ou au curateur de conclure seul, avec l’autorisation du juge, un contrat de mariage. Le régime de la séparation de biens avec des clauses spécifiques sur la répartition des charges viendra très utilement et sagement préserver ce qu’un amour irraisonné amènerait à dilapider rapidement. (art. 1399 code civil)
Le législateur a seulement oublié que pour conclure un contrat de mariage, il faut être deux ; que fera le tuteur si le futur conjoint du majeur protégé (qui aura sans doute tout intérêt à préférer le régime de droit commun, résultant d’un mariage sans convention préalable) refuse obstinément une telle convention ?
Il n’est pas prévu que ce soit une condition nécessaire à la célébration du mariage : le majeur protégé dont le consentement apparaît suffisant pourra donc convoler sans contrat, quoi qu’en pense le tuteur et quoi qu’ait décidé le juge ! Pour le plus grand bénéfice de son conjoint.
Ne restera plus d’autre solution au tuteur (ou au curateur) qu’à organiser, sous le contrôle du juge, l’affectation des revenus du majeur protégé aux dépenses résultant du mariage selon les principes d’une saine gestion ; il évitera ainsi qu’il puisse se livrer, au profit de son conjoint, à des prodigalités sans rapport avec les besoins du couple.
Cela promet de sérieuses difficultés car le tuteur viendra empiéter sur un domaine normalement réservé aux époux, au moins en ce qui concerne les actes de la vie courante. (art. 220 et suiv. code civil)
Généreuse dans son principe, cette réforme du droit du mariage aura heureusement une portée limitée. Les prétendants réunissant les conditions ne devraient pas être nombreux et ceux bénéficiant de biens et/ou revenus susceptibles de susciter les convoitises resteront minoritaires.
Dès lors, était-il bien nécessaire d’y procéder ?