Cour Européenne 16 juin 2011 & 8 novembre 2012 : requête n° 19535/08
Pour avoir instauré une législation ayant interdit à un enfant de faire valoir ses droits dans une succession, c’est l’Etat qui est condamné à lui verser une indemnité équivalant à la valeur de la part dont il a été privé : 2,75 M€.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Selon l’article 730 du code civil, la qualité d’héritier se prouve par tous moyens.
«Pascal» enfant naturel, non reconnu, d’un riche viticulteur bordelais, nourrissait donc de sérieux espoirs de prétendre régulièrement à la succession de son père et de recevoir sa part réservataire (la moitié) d’une entreprise viticole réputée, lorsque ce dernier viendrait à disparaître.
Mais établir sa qualité d’héritier, c’était, dans son cas, faire la preuve de sa filiation. Or, selon les articles 310-3 et suivants d’une part, les articles 325 et suivants d’autre part, les modes de preuve de la filiation sont très limités : l’acte de naissance, la reconnaissance et la possession d’état, à défaut le jugement.
L’affaire se compliquait car «Pascal» avait «bénéficié», bien des années auparavant, d’une reconnaissance biologiquement inexacte et il devait au préalable démontrer qu’elle était fausse.
Tous ses familiers et bien des voisins savaient, la vérité, qui plus est, «Pascal» entretenait des relations régulières avec son «vrai» père, W.
Cet homme avait, peu avant, confié sa volonté de reconnaître son fils, il avait même déposé un acte de reconnaissance que les services de l’état civil lui avaient refusé, en application des règles strictes du code civil.
Son avocat lançait donc une procédure devant le tribunal de grande instance, le 24 octobre 2000.
Le juge ordonnait une expertise afin de comparer les ADN du demandeur et celui du père prétendu.
Ce dernier, dont les facultés avaient diminué, avait entre temps été placé sous un régime de sauvegarde puis de curatelle.
Il consentait à cette expertise dont les résultats ne laissaient absolument aucun doute : il était bien le père de «Pascal».
Il décédait peu de temps après, en cours de procédure.
Les décisions de justice se succédaient, mais ni le jugement du tribunal de grande instance de Libourne, ni l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, ni l’arrêt de la cour de Cassation ne faisaient droit à ses demandes, pour divers motifs juridiques parfaitement légaux à l’époque, et en particulier la forclusion. Il aurait du agir en justice beaucoup plus tôt pour contester la reconnaissance de paternité et faire établir sa filiation, il se trouvait hors délai.
L’avocat de «Pascal», nullement découragé, saisissait alors le Cour Européenne des Droits de l’Homme, le 15 avril 2008.
Après une (traditionnellement) longue mise en état, la Cour rendait un arrêt cinglant le 16 juin 2011, complété par un autre rendu le 8 novembre 2012.
Elle condamnait la France en relevant « la Cour a des difficultés à admettre que les juridictions nationales aient laissé des contraintes juridiques l’emporter sur la réalité biologique » et ce, au seul nom de la protection des intérêts du défunt.
Elle estimait que le droit de connaître ses origines doit l’emporter sur toute autre considération, en application des dispositions de l’article 8 de la C.E.D.H., sauf cas très particulier.
Dans le second arrêt, elle reconnaissait que «Pascal» éprouvait un préjudice du fait de la privation d’une part de la succession à laquelle il avait droit en tant qu’enfant, estimait celle ci à 2,75M€ et lui accordait en réparation une somme de ce montant.
Il n’a été formé aucun recours contre ces deux décisions, dont on peut espérer qu’elles resteront exceptionnelles.
D’une part le principe posé par la Cour semble désormais reconnu par tous. D’autre part, les principaux textes de loi ont, depuis, été abrogés ou modifiés par l’ordonnance du 4 juillet 2005.