(Cour de Cassation – chambre civile 1 – 3 avril 2019 – n°18-14.640)
Quels sont les avantages d’un contrat d’assurance-vie en droit des successions ?
L’assurance-vie constitue un des placements préférés des français, sans doute pour des raisons financières, car le rendement des anciens contrats est supérieur à celui d’un investissement rémunéré par des taux d’intérêt actuellement très faibles, mais aussi pour des motifs juridiques.
En effet, selon les dispositions de l’art. L 132-12 code des assurances, l’avantage que le bénéficiaire retirera d’un tel contrat n’entre pas dans le champ du droit des successions :
« Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. »
Selon l’art. L 132-13, du même code, les héritiers ne sauraient s’en plaindre, puisque :
« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. »
Voilà donc un moyen, apparemment commode de favoriser un membre de la famille plus que les autres en rompant avec la règle traditionnelle de l’égalité ou de gratifier un ami, un proche ou une association caritative, sans risquer une diminution voire une réduction à néant de la ou des sommes versées à ce titre.
Cette technique s’inscrit parfaitement dans la conception individualiste de la gestion du patrimoine, si bien énoncée dans l’art. 544 code civil :
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » !
Chacun, de son vivant, dispose de la plus entière liberté d’affecter ses biens aux opérations qui lui plaisent, sans avoir de comptes à rendre à quiconque : vente, donation, prêt ou bail, investissement par le biais de sociétés ou consommation et même dissipation de la totalité du patrimoine sont licites !
Le contrat d’assurance-vie va prolonger, au-delà de la mort, cette liberté en laissant un choix total du bénéficiaire, hors de toute contrainte du droit des successions. Car, si la liberté de gestion caractérise la période de vie, il en va tout autrement lors de la transmission par décès : surgit tout un carcan d’impératifs presque incontournables. Les enfants reçoivent nécessairement leur part, le conjoint figure aussi parmi les héritiers légaux, chacun pour des fractions bien définies et quasi-irréductibles.
La mort dépouille l’individu de son patrimoine, ce qui est naturel, mais aussi de l’immense liberté de gérer dont il disposait ; la loi française lui impose des destinataires et des quotas de transmission.
Étonnant paradoxe, que ne connaissent pas quelques législations étrangères, spécialement anglo-saxonnes, qui accordent à chacun la même liberté de disposer à cause de mort que de son vivant : pas d’héritier imposé, pas de fractions obligatoires ; une personne peut choisir un enfant plutôt qu’un autre, un étranger plutôt qu’un descendant, une œuvre caritative plutôt qu’un conjoint.
Le contrat d’assurance-vie, en s’affranchissant des règles successorales, perpétue, au-delà de la mort, la liberté du vivant. Réputés individualistes, les Français ne s’y sont pas trompés et plébiscitent cette formule.
Qu’est-ce que la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie ?
Toute médaille a son revers : la liberté de choisir implique que la désignation du bénéficiaire du contrat d’assurance-vie reste toujours possible, jusqu’au dernier souffle, sans qu’il y ait lieu à informer quiconque ou à se justifier, même si cela déplait à certains.
C’est bien le sens de l’arrêt de la Cour de Cassation, dont ci-dessus références, qui a retenu l’attention des avocats spécialistes en droit des successions et en droit des assurances.
Un homme marié choisit de passer un testament par acte notarié, le 12 août 1997. Dans ce document, il désigne son épouse et ses enfants comme bénéficiaires de plusieurs contrats d’assurance-vie. En 2005 et 2006, il modifie, par un avenant, la clause de ces contrats et en réserve le bénéfice à son épouse, usufruitière et à trois seulement (sur cinq) de ses filles, nues-propriétaires.
A son décès, les deux exclues contestent ces modifications et demandent à bénéficier de leur part. Refus des assureurs qui appliquent la clause bénéficiaire dans sa dernière mouture et virent les sommes au profit de l’épouse, désignée usufruitière.
Elles saisissent donc la justice pour obtenir ce qu’elles estiment dû. Elles font valoir deux arguments de droit.
Le premier, solide, est le suivant :
D’une part, elles ont été désignées comme bénéficiaires par un testament authentique. D’autre part, selon l’article 1035 du code civil, les testaments ne peuvent être révoqués, même en partie, que par un testament postérieur (fût-il olographe) ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté.
Or, en l’espèce, leur père n’a utilisé aucune de ces deux techniques pour manifester son changement de volonté. On ne saurait donc y donner suite ; seul le testament de 1997 doit recevoir pleine application, y compris sur les contrats d’assurance-vie.
Le second, plus spécieux, présente moins d’intérêt, en ce qu’il recoupe sensiblement le premier.
La Cour de Cassation fait pièce de l’argumentation ainsi développée ; elle se contente de viser l’art. L132-8 code des assurances et d’affirmer qu’en application de ce texte la substitution de bénéficiaire(s) d’un contrat d’assurance-vie par un simple avenant est toujours valable.
Son interprétation des textes dénote le souci de respecter la liberté individuelle qui caractérise cette institution, nonobstant une possible violation de la règle de l’égalité entre enfants. Le législateur a voulu que le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie puisse librement s’exempter, pour des raisons personnelles, des contraintes du droit successoral ; il convient donc de respecter cette liberté qui doit pouvoir s’exprimer par tout moyen prévu par la loi, et ce à tout moment de sa vie. L’avenant est un de ces moyens, quelles qu’aient été les circonstances antérieures.
Est-il possible de s’affranchir de la clause bénéficiaire ?
La seule faculté, bien connue des avocats spécialistes en transmission du patrimoine familial, pour un bénéficiaire de se garantir contre une substitution « surprise », l’acceptation du contrat telle que prévue par l’art. 132-9 code des assurances. Le texte prévoit :
« Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 132-4-1, la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable par l’acceptation de celui-ci, effectuée dans les conditions prévues au II du présent article. »
Statistiquement, les contrats d’assurance-vie ayant fait l’objet d’une acceptation sont rares, sans doute parce que cela revient à priver le souscripteur de cette liberté qui l’a précisément amené à choisir l’assurance-vie plutôt qu’une autre forme de transmission « post mortem » d’une part de son patrimoine.
Vous souhaitez être accompagnés dans la mise en place d’un contrat d’assurance-vie dans le cadre de la préparation de votre succession ? Faites appel à un avocat spécialiste en droit des successions !