Cour de Cassation – Chambre civile 1 – 6 novembre 2019 – n° 18-24.332
Décidément, que d’obstacles sur le chemin judiciaire qui mène à la reconnaissance du recel successoral !
Les avocats spécialistes en droit des successions n’abordent qu’avec une extrême prudence ce type de demande, tant les tribunaux se montrent, dans l’ensemble, réticents à déclarer un héritier receleur et, ipso facto à le sanctionner par la privation de tout droit sur les biens dissimulés.
Qu’est ce que le recel successoral ?
On sait que le recel de succession est constitué par des manœuvres d’un héritier qui ont pour finalité de rompre l’égalité entre partageants ou de fausser les règles de dévolution choisies par la personne décédée qui a, par exemple, voulu avantager un de ses enfants plutôt que les autres.
Si l’auteur d’un recel de succession ne peut être qu’un héritier selon l’art. 778 code civil, tous s’accordent à entendre ce terme d’une manière large et non spécifique. Ainsi un légataire universel ou un légataire à titre universel ayant vocation à tout ou partie du patrimoine peut se rendre auteur d’un recel successoral. En réalité, la condition sine qua non tient à l’existence d’une indivision dont on ne peut sortir qu’en provoquant un partage. (Voir notre article sur l’indivision entre frère et soeur)
En ce qui concernent les manœuvres, les décisions de justice regorgent d’exemples de manigances d’héritiers susceptibles de constituer un fait de recel : le silence gardé sur des dons manuels ou des donations déguisées, des prélèvements de sommes sur des comptes en banque du défunt, peu avant ou peu après le décès, la présentation d’un faux testament ou d’une fausse reconnaissance de dettes de la personne décédée, etc. D’une manière générale, les juges retiennent tous les agissements frauduleux qui portent atteinte à une dévolution successorale et/ou à un partage conformes aux règles de droit.
En revanche, les tribunaux se montrent très difficiles pour prendre en compte la mauvaise foi : il faut vraiment qu’il n’y ait aucun doute, que l’auteur des procédés déloyaux ait délibérément choisi de léser les co-partageants et qu’il y ait porté de la constance !
L’héritier indélicat bénéficie souvent du doute : il n’a pas compris ce qu’il faisait, il a cru qu’il avait le droit, il n’a fait que défendre ses intérêts, il n’a pas voulu tromper les autres héritiers mais seulement le fisc, etc. En la matière, les avocats spécialistes en droit des successions savent que les rejets de telles demandes sont bien plus nombreux que les admissions !
Quand intenter une action en recel successoral ?
Le parcours vient de s’enrichir d’un nouvel obstacle, si on s’en rapporte à l’arrêt de la Cour de Cassation dont ci-dessus références.
Après le décès de leurs deux parents, un frère et une sœur recueillent les successions, comprenant des immeubles, des meubles et des liquidités et se partagent les biens, sans conflit semble-t-il.
Une fois les opérations terminées, le frère apprend, d’une part que sa sœur a détourné, à son exclusif profit personnel, de l’argent de ses parents en utilisant la procuration sur leurs comptes bancaires qu’il lui avait confiée, d’autre part, qu’elle a bénéficié d’un logement gratuit en occupant, sans payer le moindre loyer, un appartement appartenant à leurs parents. Elle s’était bien gardée d’évoquer ces deux « avantages ».
Se sentant, à juste titre, lésé, il assigne sa sœur en justice et demande qu’elle soit déclarée receleur des sommes d’argent détournées ainsi que de la libéralité constituée par son logement gratuit pendant plusieurs années.
Mal lui en prend, puisque la Cour d’Appel de Paris, le 12 septembre 2018, va refuser de faire droit à ses demandes, et la Cour de Cassation va confirmer en rejetant le pouvoir imprudemment formé.
L’explication que donne la Cour est très simple : le partage a été effectué, il est terminé, tant pour les immeubles que pour les meubles et les soldes créditeurs des comptes bancaires, il est donc trop tard pour intenter une action en déclaration de recel successoral, laquelle doit être concomitante aux opérations de partage. Le demandeur aurait donc du s’y prendre avant !
Solution logique et incontestable, même si des juridictions du fond et des commentateurs passaient outre, auparavant et accueillaient une action à fin de sanction du recel au-delà du partage.
Le recel fausse les opérations de partage, c’est donc au cours de ces opérations qu’il convient de se montrer attentif et exigeant, pour que toute la lumière soit faite sur les avantages des uns et des autres ; c’est d’ailleurs une des raisons majeures de se faire accompagner par un avocat spécialiste en droit des successions.
Si les héritiers aboutissent à un acte final d’un commun accord, ils sont présumés avoir réglé toutes les questions « difficiles » entre eux, définitivement. La remise en cause par le biais de la recherche d’un recel consisterait à revenir sur un engagement pris par chacun d’eux.
Solution sévère ou injuste, en ce qu’elle risque de constituer un encouragement à la fraude ? Non.
L’arrêt indique lui même ce qui aurait pu être fait, au moment où le frère a appris les indélicatesses de sa sœur, en lieu et place de sa recherche d’un recel : il aurait pu demander la nullité du partage ou solliciter un complément au partage.
L’action en nullité pouvait se fonder sur les mêmes faits que ceux invoqués à fin d’établir le recel : la tromperie de la sœur sur les prélèvements frauduleux et, dans une moindre mesure son silence concernant son logement gratuit pouvaient être constitutifs de « dol » et provoquer une erreur du frère qui n’aurait jamais consenti à un tel partage s’il avait su ; c’est exactement l’hypothèse prévue par l’art. 887 code civil :
« Le partage peut être annulé pour cause de violence ou de dol. Il peut aussi être annulé pour cause d’erreur, si celle-ci a porté sur l’existence ou la quotité des droits des copartageants ou sur la propriété des biens compris dans la masse partageable. »
Quant à la faculté d’une action à fin complémentaire, elle découlait des mêmes constatations et, selon les circonstances, on pouvait s’orienter vers une des deux hypothèses prévues par le code civil : complément de part en application de l’art. 889 code civil ou partage complémentaire de biens non compris dans le partage antérieur en application de l’art. 892 du même code.
A supposer que les délais ne soient pas dépassés, le plaideur sait ce qui lui reste à faire : contacter un avocat spécialiste en droit des successions afin de faire valoir ses droits !