Montant de la part d’un indivisaire : selon le titre ou l’investissement ?

(Cour de Cassation – 1ère chambre civile – 10 janvier 2018 – n° 16-25190)

Montant de la part d’un indivisaire : selon le titre ou l’investissement ?

Deux personnes, Monsieur X et Madame Y avaient acheté, par acte notarié du 15 octobre 1998, en indivision et chacune à hauteur de la moitié, diverses parcelles de terrain.

Elles s’étaient ensuite lancées, ensemble, dans diverses opérations de lotissement, avaient revendu plusieurs parcelles, en avaient conservé une et avaient financé, en partie grâce au prix de vente des dites parcelles, la construction d’une maison à usage d’habitation sur la parcelle qu’elles avaient gardée.

Le solde du prix de cette construction avait été pris en charge par les deux propriétaires indivis, sous des formes diverses et individuelles.

La situation juridique d’indivision ne pouvant prétendre à la pérennité, il fallait un jour y mettre un terme et faire les comptes entre les parties. Faute d’accord amiable, la justice était saisie, en application de l’art. 840 code civil :

« Le partage est fait en justice lorsque l’un des indivisaires refuse de consentir au partage amiable ou s’il s’élève des contestations sur la manière d’y procéder ou de le terminer ou lorsque le partage amiable n’a pas été autorisé ou approuvé dans l’un des cas prévus aux articles 836 et 837. »

La procédure n’indique ni par qui, ni pourquoi, on en arrivait à ce stade, mais il est probable que cela résultait de l’ouverture de la succession de l’un ou l’autre indivisaire et d’un conflit entre héritiers sur leurs droits respectifs dans l’héritage.

Mais ces circonstances importent peu au regard de la question de principe qui allait se poser. La seule solution pratique consistait, comme souvent, à vendre en justice l’immeuble, sous la forme de l’adjudication. C’est la préconisation faite par l’art. 1377 code procédure civile aux magistrats saisis d’un litige relatif au partage d’une indivision :

« Le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués. La vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281 et, pour les meubles, dans les formes prévues aux articles R. 221-33 à R. 221-38 et R. 221-39 du code des procédures civiles d’exécution. »

Le tribunal de grande instance de Tarbes, puis la Cour d’Appel de Pau dans son arrêt du 29 février 2016, ordonnaient une telle mesure. Aucun des deux indivisaires ne pouvait, ou ne souhaitait, racheter la part de l’autre et la maison n’était pas divisible !

Mais, à la demande des parties, les magistrats devaient également se prononcer sur les droits de chacun des deux indivisaires et sur la ventilation du prix qui résulterait de la vente en justice.

A cette fin, le tribunal désignait un expert pour reprendre l’historique des opérations immobilières, pour estimer la valeur du bien indivis et déterminer les modalités de financement de cet immeuble par l’un et l’autre indivisaire (apports personnels, prêts bancaires, etc.).

Le rapport remis ne faisait pas l’objet de contestations sérieuses. A partir de ces données, les juges calculaient le montant des apports de chacun et la proportion dans le financement de l’immeuble qui allait être vendu en justice.

La Cour d’appel en concluait et jugeait que les droits de M. X sur la maison indivise s’élèveraient à 46,24 % de sa valeur et ceux de Mme Y… à 31,22 %, au motif que chacun des co-indivisaires avait financé à titre personnel, dans cette proportion, le coût de la construction de la maison.

Et ils donnaient pour instruction au notaire désigné pour le partage de liquider l’indivision sur ces bases.

Monsieur X, mécontent de cette décision, pour plusieurs motifs, décidait de former un pourvoi en cassation.

Il n’est pas besoin d’être avocat spécialiste en matière de successions ou d’indivision ou notaire pour éprouver, à la lecture de cet arrêt, une première surprise, d’ordre purement arithmétique.

Si l’on additionne les droits de l’un et de l’autre indivisaires, tels que décidés par la Cour, on obtient un total de : 46,24 % + 31,22 % = 77,46 % !

Sachant qu’il n’y a que deux indivisaires, où doit-on chercher les 22,54 % manquants ?

En effet, la somme des quotes-parts affectées à l’ensemble des co-indivisaires ne saurait être inférieur à la totalité des droits sur le bien indivis et donc le total des droits aurait dû atteindre les 100 %.

Peut-être ces 22,54 % correspondaient-ils à la valeur du terrain, mais rien ne permet de l’affirmer.

Le second motif d’étonnement, plus technique, relève de l’application des règles légales applicables en matière de contrats et de propriété.

Lorsque les parties à un contrat ont convenu de modalités régissant leurs rapports patrimoniaux relatifs à l’objet du contrat, ils ne peuvent ensuite les ignorer. C’est le sens de l’art. 1103 code civil (avant 2016 art. 1134) :

« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »,

et de l’art. 1194 du même code :

« Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. »

C’est ce dernier point que va rappeler la cour de Cassation dans son arrêt du 10 janvier 2018, dont supra références.

Principe de base : le droit de propriété ne dépend pas du financement du bien acheté, mais des règles que les contractants ont eux-mêmes choisies.

Monsieur X et Madame Y ont, le 15 octobre 1998, acheté la parcelle chacun pour moitié, donc ils sont propriétaires de la parcelle et de la construction édifiée dessus, chacun pour moitié. Peu importe que l’un ait finalement investi davantage que l’autre, cela n’a aucun impact sur le droit de propriété. Donc, il y a lieu d’écarter tous ces calculs de proportions fondés sur le financement.

En conséquence, la Cour cassait l’arrêt de la Cour d’appel de Pau et renvoyait l’affaire devant la Cour d’Appel de Bordeaux.

Il fallait donc remonter aux origines de l’affaire pour aboutir à la solution juridiquement orthodoxe, ce que les juges du tribunal et de la cour semblaient avoir oublié. Le bien indivis sur lequel portait le litige était une parcelle de terrain sur laquelle une construction avait été édifiée.

Selon l’art. 553 du code civil :

«Toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si le contraire n’est prouvé ; »

La maison, qui avait bien été construite par les deux propriétaires du terrain, suivait donc le même sort juridique que le terrain sur lequel elle était édifiée : elle appartenait aux deux co-propriétaires indivis, dans la même proportion que la parcelle.

Or, la seule convention concernant la propriété de cette parcelle était l’acte notarié d’achat du 15 octobre 1998, lequel stipulait que Monsieur X et Madame Y étaient à égalité de droits : chacun la moitié.

Les magistrats bordelais sont donc « invités » à oublier tous les savants calculs de la cour de Pau, et à reprendre leur raisonnement sur la base d’une indivision par moitié.

Est-ce à dire que le prix de la vente devra être également partagé par moitié, sans tenir compte des investissements de l’un et de l’autre ? Non, bien sûr.

Et en cela, la démarche des juges du tribunal et de la Cour était sans doute maladroite, mais elle tendait à l’équité et à la justice : il devrait revenir à chacun la moitié du prix, mais complété ou diminué des sommes investies personnellement par chacun, au-delà de sa part.

Si Monsieur X avait, par exemple, payé plus de la moitié du prix de la toiture, Madame Y lui était redevable du trop versé ; et si, autre exemple, Madame Y avait payé 100 % du prix de l’installation de chauffage, Monsieur X devait lui en rembourser 50 %.

C’est à dire que le notaire sera tenu de faire les comptes entre les deux parties pour s’assurer que chacun a finalement et comptablement participé à 50 % des dépenses, pour recevoir 50 % du prix.

Le droit des successions et de l’indivision ne vient nullement contredire les principes d’égalité et de justice, bien au contraire ; mais à se fonder sur des bases juridiques erronées, on aboutit facilement à des iniquités. Dans un cas pareil, n’hésitez pas à faire appel à un avocat spécialiste !

Marie-Christine CAZALS
Avocat spécialiste en droit des successions
Inscrite sur la liste nationale des avocats spécialistes mention droit du patrimoine familial