Cour de cassation première chambre – 13 janvier 2016 – n° 14-29651
Les bijoux, « ce monde rayonnant de métal et de pierre » (Baudelaire), n’émerveillent que peu les juridictions, qui, oubliant la magie de leurs reflets et de leurs éclats, leur appliquent le terne statut que leur réserve le code civil : celui de « meuble » (art. 528 C. Civ.).
Seules les circonstances de la vie, viennent parfois compliquer la tache des magistrats, et faire hésiter un tribunal sur la propriété, l’attribution ou la restitution d’une bague, d’un collier ou de boucles d’oreille.
Se mêlent alors aux strictes normes du droit, l’émotion que viennent faire partager les avocats de ceux qui se disputent à coups de règles juridiques, les ors, les diamants et les perles.
La jurisprudence a fini par trouver un état d’équilibre pour des conflits devenus, hélas, classiques depuis près de deux siècles.
Ainsi, la bague de fiançailles passée au doigt de la future épouse devient le plus souvent la propriété de la jeune femme dès sa remise par le futur époux, sous condition que le projet de mariage aboutisse. (art. 1088 C. Civ.)
Et, en cas de rupture des fiançailles, les magistrats ordonnent le plus souvent qu’elle soit restituée, sauf volonté contraire des deux ex-fiancés.
En application du même texte du code civil, elle est, en cas de divorce, normalement conservée par l’ex-épouse, s’agissant d’un cadeau d’usage, c’est à dire d’un don d’une valeur en rapport avec les revenus de l’ex-époux.(Cour de Cassation – chambre civile 1 – 19 décembre 1979, pourvoi n° 78-13.346)
Il n’en va autrement que s’il s’agit d’un bijou de la famille du mari, dont l’origine est incontestable : l’épouse n’en acquiert jamais la propriété, le bijou lui est simplement prêté et elle doit le rendre à la rupture du mariage. (Cour de Cassation – chambre civile 1 – 30 octobre 2007 – N° de pourvoi: 05-14258)
En cours de vie conjugale, le bijou peut avoir été offert pour une occasion spécifique telle que la naissance d’un enfant du couple. La Cour de Cassation approuve alors les magistrats de Cour d’Appel qui ont jugé qu’il s’agissait d’une donation sous le qualificatif de « cadeau d’usage », même si la bague supportait un diamant de 2,58 carats ! (Cour de cassation – chambre civile 1 – 19 novembre 2014 – N° de pourvoi: 13-26632)
En matière de succession, les données se révèlent plus compliquées, dans la mesure où plusieurs membres de la famille peuvent prétendre à recevoir le ou les bijoux : ainsi dans l’hypothèse de plusieurs enfants venant aux droits de leur père et mère. Qu’il s’agisse de « biens de famille » ou de « présents d’usage », à qui les attribuer ?
La Cour d’appel de Rennes pensait avoir trouvé la bonne solution dans son arrêt du 9 septembre 2014 en jugeant que les bijoux dépendant de la succession possédaient une valeur essentiellement sentimentale (la bague était évaluée à 800 € et le bracelet à 200 €) et, en cette qualité, pouvaient ainsi échapper aux règles du partage. Les magistrats, manifestement sensibles à ce qui leur paraissaient être des marques d’affection en décidaient l’attribution selon les voeux (quelque peu présumés) de la défunte : la bague revenait à une fille, le bracelet à un fils.
Hélas, s’il y avait deux bijoux, il y avait trois enfants !
Saisie sur pourvoi, la Cour de Cassation rappelle sèchement, mais justement, la règle en matière de partage : à défaut d’accord, l’article 826 C. Civ. prévoit qu’il y a lieu de constituer des lots de valeur égale puis de tirer au sort les attributaires de chacun de ces lots. « Exit » toute forme de préférence ou d’affinité, place au hasard !
Et pourtant, nombre de parents, grands parents, oncles, tantes ou autres cousins souhaitent une dévolution spécifique, pour de multiples raisons : des bijoux à des filles plutôt qu’à des fils, des oeuvres d’art à des héritiers sensibles à la peinture plutôt qu’à des enfants amateurs de technologie de pointe, des meubles anciens dans une demeure ancienne, etc …
Qu’ils soient rassurés, il n’est pas difficile d’organiser la transmission de bijoux ou de meubles « à valeur essentiellement sentimentale » à celui, celle ou ceux que l’on choisit, dans le respect du droit et des règles relatives aux successions.
Les avocats spécialistes en patrimoine familial orientent ainsi, régulièrement, ceux qui veulent « personnaliser » la transmission de tout ou partie de leur patrimoine. La donation, le don manuel, le legs, voire encore d’autres formes de conventions peuvent garantir que les choix qu’ils opèrent seront respectés et leurs volontés, mises en oeuvre.
Une décision bien prise et clairement expliquée évite des péripéties douloureuses et des affrontements déchirants tels que décrits dans cet arrêt de la Cour de Cassation.