En matière de tutelle, pas d’emploi fictif !

Cour de Cassation – 1ère Chambre – 11 janvier 2017 – n° 15-27.784

Selon une formule de sagesse millénaire, « Toute peine mérite salaire ».

Traduite en droit, elle signifie que la rémunération est la contre-partie normale des diligences accomplies par une personne au bénéfice d’une autre.

L’illustration la meilleure en est le contrat de travail qui a pour objet d’organiser l’adéquation entre le travail fourni par l’employé et le salaire versé par l’employeur. Il en existe d’autres formes, telles que les honoraires pour le médecin, l’avocat ou l’expert-comptable, ou le cachet pour les artistes.

Le code civil, depuis sa promulgation en 1804 par Napoléon 1er, a également prévu que certaines tâches, sans lien avec le contrat de travail, mais organisées dans un cadre institutionnel, seraient également rémunérées ou, au moins pourraient l’être ; ainsi, notamment : l’administration des biens de la personne déclarée absente (art. 114), l’administration des biens de l’enfant par un ou ses deux parents, par le biais de la « jouissance légale » (art. 386-1), le mandat à effet posthume (art. 812-3), le mandat successoral (813-9), le séquestre (art. 1957), le mandat (art.1986), et, bien entendu, la charge de tuteur ou de curateur d’un incapable majeur (art. 419).

La loi opère une distinction préalable, entre le tuteur parent ou ami qui oeuvre à titre gratuit et le tuteur « professionnel » appelé « mandataire judiciaire à la protection des majeurs », qui a vocation à être payé pour ses diligences.

Ce dernier est le plus souvent désigné par le juge des tutelles quand le majeur en tutelle possède un patrimoine important ou de nature complexe.

Ainsi pour un patrimoine qui se compose de biens immeubles nécessitant un entretien constant, la perception de loyers et leur ré-affectation. Ou lorsque un patrimoine comprend un (ou plusieurs) fonds de commerce donné en gérance, ou encore intègre des meubles, marchandises, matériels ou valeurs mobilières dont il faut suivre l’évolution et les variations de coûts.

Pour éviter tout abus, la rémunération est fixée par la loi et par le juge des tutelles, selon les dispositions de l’art. L 471-5 du code de l’action sociale et des familles.

La rémunération de base est déterminée par la loi (règlement et arrêté) en fonction d’indicateurs liés, en particulier, à la charge de travail résultant de l’exécution des mesures de protection dont le tuteur a la charge. (art. R472-3 C. act. soc.)

Elle est versée de manière périodique.

A celle-là, le juge peut ajouter, à titre exceptionnel, une indemnité complémentaire, en considération de l’accomplissement d’un acte ou d’une série d’actes requis par l’exercice de la mesure de protection et impliquant des diligences particulièrement longues ou complexes.

Encore faut-il que le tuteur ait véritablement géré le patrimoine… Il ne s’agit pas d’une rente de situation, liée à un titre, mais de la contrepartie d’un véritable travail exigé par une fonction.

Dans son arrêt dont ci-dessus références, la Cour de Cassation vient de le rappeler, nettement et… sèchement.

Un juge avait confié, le 29 avril 2010, à Mme X., mandataire judiciaire à la protection des majeurs, le soin de gérer le patrimoine de Mme Hélène H. Ne donnant manifestement pas satisfaction, elle était déchargée de sa mission par le même juge, le 6 février 2013 et la tâche était confiée à un autre. Entre temps, Mme Hélène H. venait à décéder.

Mme X. se présentait alors devant le juge pour obtenir, de la succession, le versement de l’indemnité due pour 2010, 2011 et 2012, et ce, selon les barèmes fixés par la loi.

Le juge lui accordait, par ordonnance du 24 octobre 2013.

Mais, saisie à son tour par l’avocat des héritiers, la Cour d’appel de Versailles, par arrêt du 30 septembre 2015, rejetait entièrement sa demande, au motif que cette mandataire ne pouvait justifier de ses diligences pour cette période.

Fort fâchée, la demanderesse se pourvoyait en cassation ; selon elle, il suffisait pour percevoir la rémunération prévue de se prévaloir de la désignation de tuteur et les juges avaient enfreint la loi en exigeant, qu’en plus, elle fasse la preuve de la réalité de ses activités de gestion du patrimoine de Mme Hélène H.

En une ligne, la Cour de Cassation balaye l’argumentation en rappelant que « l’absence de toute diligence fait obstacle à toute rémunération ».

Ce faisant, les hauts magistrats ont fait preuve de bon sens et de sens moral. Certes les textes applicables ne mentionnent jamais expressément cette condition, mais elle s’évince de l’ensemble des règles de la matière : le code civil énonce les nombreux devoirs du tuteur dans les art. 503 et suivants et lui enjoint de rendre compte de sa mission tous les ans. C’est donc bien qu’il doit travailler au bien de son « protégé ».

On attend du tuteur une véritable activité, dans des domaines divers, avec toutes les contraintes inhérentes : démarches administratives, gestion bancaire, conservation des immeubles, administration de meubles sous toutes leur forme, etc.

Les avocats spécialistes rappellent, dans de tels dossiers, que la tâche est souvent lourde et rarement gratifiante et que la révocation attend celui qui ne s’y consacre pas (cf. Cour de cassation – 1ère chambre – 28 mai 2014 – n°12-28971)

Dès lors, qui consacre son temps et ses efforts à gérer au mieux le patrimoine d’autrui mérite d’être payé, mais pourquoi celui qui a la même charge et ne fait strictement rien, serait-il rémunéré ? Ce serait injuste et singulièrement dangereux pour les personnes sous tutelle, dont le patrimoine constitue souvent le seul financement et la seule garantie de leur mode de vie.

Il ne peut donc exister en la matière que des emplois effectifs et pas d’emplois fictifs.

A la lecture de cette décision, on se rappellera peut être le vers final de la fable du laboureur et de ses enfants : « le travail est un trésor » (Jean De La Fontaine).

Marie-Christine CAZALS
Avocat spécialiste en droit des successions
Inscrite sur la liste nationale des avocats spécialistes mention droit du patrimoine familial