Cour de Cassation – première chambre – 19 septembre 2018 – n° 18-20.693
Des obsèques récentes d’artistes connus ont donné lieu à des hommages nationaux, ponctués par des manifestations publiques de diverses natures, relayées par les médias et largement suivies par la population. La société paraissait avoir tout géré, au point de déposséder le défunt des ultimes moments de présence parmi les vivants.
Est-ce à dire que l’organisation des funérailles relèverait des seuls (plus ou moins) proches du défunt, sans que celui-ci ait eu, de son vivant, son mot à dire ? Les temps funéraires ne seraient alors que la mise en oeuvre de rites sociaux, destinés prioritairement, voire exclusivement, à ceux qui restent en vie et vont accompagner leur parent ou ami vers sa dernière demeure ?
Ce n’est nullement le sens du droit français, à ce jour. La liberté de conscience et de pratique religieuse reconnue par l’art. 1er de la loi du 9 décembre 1905 :
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public »,
trouve son point d’orgue lorsque survient le moment des funérailles ; au choix du défunt, elles peuvent se résumer à une simple formalité ou inclure cérémonies et manifestations, publiques ou privées, laïques ou religieuses. Mais il est essentiel que chacun puisse l’organiser selon ses convictions personnelles.
Curieusement, c’est un texte antérieur de près de 20 ans à celui de 1905, qui en fournit le cadre juridique, la loi du 15 novembre 1887. Les dispositions de l’une et de l’autre ne sont pas pour autant incompatibles, bien au contraire, elles sont inspirées par le même principe de liberté :
« Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions».
Compte tenu des contraintes biologiques et du souci de la santé publique, mais aussi de l’émotion familiale, voire sociale, inhérente à un tel évènement, la loi a prévu, en cas de difficulté portée devant la justice, une procédure rapide : le juge d’instance doit statuer dans les 24 h de sa saisine et si appel est interjeté, le premier président de la Cour d’Appel doit, à son tour, statuer dans les 24 h qui suivent le recours (art. 4).
Comme le constatent les avocats spécialistes en matière de successions, les conflits que connaît la justice naissent, quasi exclusivement, des divergences, voire des dissensions entre un conjoint survivant, une compagne, des enfants et/ou des amis intimes ; le ressort en est tantôt le lieu d’inhumation, plus souvent le caractère religieux ou laïc des funérailles.
Ainsi à propos de l’arrêt dont ci-dessus références.
Un ressortissant marocain, régulièrement domicilié sur le sol français, vivait depuis plusieurs années avec sa compagne, mère de deux enfants « issus d’une précédente union ».
A son décès, la compagne et ses enfants décident d’organiser pour lui des funérailles selon un rite catholique et de procéder à l’incinération de sa dépouille. Protestations de la mère du défunt, de sa soeur et de ses frères, pour des motifs religieux, tenant notamment à la prohibition de l’incinération.
Ils saisissent le juge en se fondant sur deux arguments :
- le défunt était de confession musulmane, de nationalité marocaine, pays dans lequel l’islam est la religion d’Etat, et on ne peut donc lui imposer, même « post-mortem » des pratiques incompatibles avec ses convictions,
- qui plus est, il existe une convention franco-marocaine, du 10 août 1981, relative au statut des personnes, qui prévoit que c’est la loi de la nationalité qui doit s’appliquer, donc, en l’espèce la loi marocaine et non la loi française,
et en concluent que l’organisation des funérailles du défunt doit se faire selon la loi marocaine et les canons de la religion musulmane.
Déboutés par le premier président de la Cour d’Appel, ils portent le litige devant la Cour de Cassation. La juridiction confirme la décision, après avoir écarté la double argumentation.
D’une part, elle estime que la matière des funérailles ne relève pas du statut des personnes, mais des libertés individuelles, la convention franco-marocaine ne peut donc s’appliquer. D’autre part, elle rappelle le principe fondamental posé par les lois de 1887 et 1905 : il faut rechercher d’abord la volonté du défunt.
Celle-ci peut avoir été exprimée par écrit ; à défaut, elle peut s’évincer de ses confidences et de son mode de vie.
Et les juges de noter que si le défunt n’avait laissé aucun écrit, il est, en revanche, bien établi que, quoique de religion musulmane à l’origine, il était devenu athée et souhaitait une crémation, qu’il avait accepté que sa fille soit baptisée et qu’il avait laissé le choix des funérailles à ses enfants et sa compagne. Autant d’éléments venant sûrement renseigner sur ses dernières volontés.
Ce n’est qu’à défaut de pouvoir « déchiffrer » les ultimes désidérata du défunt qu’il aurait convenu de s’en remettre à « la personne la mieux qualifiée pour décider de ses modalités », ainsi que le mentionnent les juges. Ce faisant, les tribunaux semblent ajouter à la loi, qui n’a rien prévu de tel : une personne peut être chargée d’exécuter les dernières volontés du défunt, pas de dicter les siennes, parce que le défunt est resté taisant (cf. art 3 loi précitée).
Il faut en réalité voir cette « extension » technique comme un prolongement et non comme une simple adjonction? Choisir « la personne la mieux qualifiée », c’est confier à celle qui connaissait le mieux le défunt, le soin de traduire le plus fidèlement possible sa personnalité et ses attentes, au moment des funérailles, pour que sa mort soit à l’image de sa vie.
Reste ensuite l’épineuse question de déterminer qui est la « personne la mieux qualifiée » : compagnon, enfant, ami, confident, le choix peut être vaste ; les juges retiennent le plus souvent celle ou celui qui a partagé les dernières années de vie du défunt.
A la lumière de l’expérience, les notaires et avocats spécialistes ne peuvent que conseiller à celle ou celui qui souhaite des modalités particulières de funérailles, de transcrire ses dispositions dans un écrit qui prendra, de préférence mais pas obligatoirement, une forme testamentaire.