Cour de cassation – première chambre – 8 juin 2017 – n° 15-12544
Les avocats spécialistes savent qu’il est parfois compliqué de préparer des actes ou de gérer des situations relevant de trois pans différents du droit de la famille. Ainsi lorsqu’il s’agit de combiner : du droit des assurances, du droit des successions et du droit de la protection des majeurs incapables.
L’arrêt dont ci-dessus références en est une excellente illustration.
Plusieurs années après avoir souscrit des contrats d’assurance-vie (en 1999 et 2004), un père de 4 enfants majeurs est placé sous curatelle simple, par une décision de justice rendue en décembre 2008. Quelques mois plus tard, il décide de modifier la clause désignant le bénéficiaire de ces contrats.
A cette fin, il informe, en février 2009, la Cie d’assurance de sa résolution, puis il prend l’attache de deux notaires qui vont, également en février 2009, recevoir son testament par acte authentique. Dans cet acte, il précise bien que c’est son fils J. et non plus sa fille Y. qui est désormais bénéficiaire des dits contrats.
Le curateur (une association spécialisée) confirme, par courrier, ce changement à l’assureur près de huit mois plus tard, mais pour un seul des deux contrats.
Le souscripteur décède le 13 mars 2010.
En marge du règlement de la succession, la Cie d’assurance verse le capital correspondant au premier contrat à son fils J, mais elle adresse le second à sa fille Y.
Cette fois, ce n’est pas la succession qui va se révéler longue et difficile, mais l’exécution des contrats d’assurance-vie !
Sans doute irrité que la volonté de son père n’ait pas été respectée, le fils assigne l’assureur en justice, lui reproche d’avoir manqué à ses obligations et met en jeu sa responsabilité.
Il ne manque pas de faire valoir que son père quoique placé sous curatelle disposait du droit de tester (cf. art. 470 code civil), que son testament, passé par acte authentique, est parfaitement valide, que son contenu ne laisse aucun doute sur sa volonté de faire bénéficier son fils seul des capitaux souscrits pour les deux contrats et que la loi offre bien la possibilité de substituer un bénéficiaire à un autre par testament (art. L 132-25 code de assurances).
L’assureur en ayant eu connaissance ne pouvait donc arguer de sa bonne foi (cf. art. L 132-25 code des assurances) et ne pouvait régulièrement verser les fonds du second contrat à Mme Y. Il doit donc au demandeur une somme équivalente au capital versé à tort.
La cour d’appel de Bordeaux le 4 décembre 2014, puis la Cour de cassation le 8 juin 2017, balayent cette argumentation d’un revers … de texte de droit !
Ces deux juridictions rappellent la teneur précise de l’art. L 132-4-1 du code des assurances : un majeur en curatelle ne peut substituer un bénéficiaire de contrat d’assurance-vie à un autre qu’avec l’assistance du curateur.
Or, le curateur n’a validé cette substitution que pour un seul des deux contrats, donc la désignation du fils au lieu de la fille dans le second contrat ne répond pas aux exigences légales, elle est donc nulle et de nul effet et c’est à bon droit que l’assureur a versé les fonds à Mme Y.
L’avocat spécialiste reste quand même sur un sentiment mitigé.
Le raisonnement des deux juridictions est imparable, le texte de loi est clair et rien, au vu de ce que rapporte l’arrêt, ne permettait d’écarter son application. « Dura lex, sed lex » !
Mais alors deux questions.
La première : à quoi sert de laisser à un majeur sous curatelle la faculté de tester, faculté qui implique celle d’opérer une substitution de bénéficiaire ? D’autant que par testament, le majeur protégé peut librement transmettre la quotité disponible, ce qui dépasse parfois le montant des sommes versées au titre du contrat d’assurance-vie.
La seconde est double : quel est le rôle exact d’un curateur et en l’espèce le curateur a t il satisfait à ses obligations ?
Le curateur n’a pour fonction que d’assister le majeur protégé, pas celle de se substituer à lui ; il doit donc respecter sa volonté lorsque cette volonté est claire et libre et que la décision ne provoque pas de préjudice à l’incapable dont il a la charge. Il ne peut décider à sa place ou contre sa volonté.
Dans la situation ci-dessus décrite, on reste étonné de l’attitude du curateur : pourquoi valider, avec beaucoup de retard, une substitution et pas l’autre ? On pouvait soupçonner le curateur de s’être immiscé dans la gestion de son protégé, en voulant maintenir, contre la volonté du majeur en curatelle, un équilibre entre deux enfants.
Il n’en est heureusement rien, la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux nous apprend qu’il ne s’agit que d’une regrettable erreur de suivi du dossier : la validation du changement de bénéficiaire pour le second contrat a bien été adressée à l’assureur, par télécopie, … mais deux mois après le décès !