Est-ce possible de faire annuler un testament pour insanité d’esprit ?

(Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 7 février 2024, 22-12.115)

Racontons l’histoire de cet arrêt…

A son décès, survenu le 13 octobre 2014, T..  laisse pour lui succéder sa fille, Mme Y. Aux termes d’un testament olographe daté du 20 juin 2013, il lègue un ensemble immobilier à Mme J, son auxiliaire de vie, ainsi qu’à Mme G, qui était la compagne de son fils pré-décédé.

L’auxiliaire de vie va très vite renoncer au bénéfice de ce legs particulier ; sans doute parce que, à cette époque, l’article L 116-4 du Code de l’action sociale et des familles, dans son ancienne version, interdit notamment aux personnes fournissant un service d’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées et aux personnes ayant besoin d’une aide personnelle à leur domicile, de recevoir une donation ou un legs de la part des personnes dont elles s’occupent.

Ce n’est qu’en 2021, par une décision du 12 mars, que le conseil constitutionnel va censurer cette disposition et ainsi autoriser les legs aux auxiliaires de vie. Trop tard pour Mme J…

Mme G, compagne du fils pré-décédé du testateur, va en revanche demander la délivrance de son legs à Mme Y, fille du défunt et héritier réservataire, conformément aux dispositions de l’art. 1014 code civil :

« Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »

Peu encline à abandonner une part sans doute conséquente de l’actif successoral, Mme Y refuse et contraint la légataire à titre particulier à saisir la justice pour obtenir la délivrance de son legs.

Pour sa défense devant le tribunal, puis devant la cour d’Appel, Mme Y va soutenir que son père était, au moment de la rédaction de son testament, dans un état d’insanité d’esprit, faisant ainsi référence à l’art. 901 code civil qui dispose :

« Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »

Et Mme Y, à laquelle incombe la charge de la preuve, en application de l’art. 414-1 code civil selon lequel :

« Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte. »

de produire nombre d’éléments de fait de nature à soutenir sa thèse : « brouillons » de testaments rédigés quelques jours avant le testament olographe du 20 juin 2013 manifestement écrits par un tiers, incohérences de style dans l’écrit lui-même, certificat médical (postérieur d’un an au testament) de son médecin établissant la découverte d’un accident vasculaire cérébral antérieur à la rédaction du testament ayant provoqué « une lacune frontale D », c’est à dire un dommage grave à une partie du cerveau.

Les magistrats de la Cour d’Appel d’Aix en Provence se déclarent convaincus et, par un arrêt du 15 décembre 2021, qui reprend l’argumentation de Mme Y en s’appuyant sur les faits dont elle a fait état, ils reconnaissent l’insanité d’esprit du testateur au moment de la rédaction et, en conséquence, ils annulent le testament.

Sur un pourvoi formé par Mme G, la Cour de Cassation casse cette décision, sur le point précis de la nullité du testament ; la Cour reproche aux magistrats d’Aix en Provence de n’avoir pas  démontré le lien existant entre les divers éléments relevés et l’insanité d’esprit du testateur qu’ils ont déclarée établie.

La Cour d’Appel de Montpellier devra reprendre l’instance.

Quelles leçons tirer de cet arrêt ?

1.    Il est très difficile de faire annuler un testament pour insanité d’esprit ! 

La Cour de Cassation veille à une application rigoureuse du droit en la matière. Un individu majeur est présumé intellectuellement capable des actes juridiques et les juges ne peuvent décider que tel n’est pas le cas, uniquement quand il est apporté une véritable preuve de l’insanité d’esprit.

2.    Il est essentiel d’apporter une preuve avec un lien direct, certain et exclusif avec la conclusion qu’on veut en tirer

Dans le conflit opposant Mme G à Mme Y, les divers faits censés constituer la preuve de cette incapacité n’avaient manifestement pas la force probatoire. L’ensemble constituait certainement un tableau quasi-impressionniste d’un comportement, laissant présumer que le testateur ne disposait plus de la conscience suffisante pour rédiger son testament.

Mais ce même tableau pouvait aussi faire présumer que T avait préparé, d’une manière tout à fait personnelle, la rédaction de son testament et n’avait pas attaché d’importance à des détails de style qu’il jugeait secondaires, laissant intactes ses facultés mentales.

Quant au certificat médical, il établissait bien un accident au cerveau, d’une gravité certaine, mais sans en tirer de conséquences précises.

Or, en matière de preuve par présomption, l’art. 1353 code civil édicte :

« Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes (…) »

Des faits tels que ceux retenus par la Cour d’Appel constituent à l’évidence des présomptions, mais de quoi ? D’une insanité d’esprit ou d’un comportement somme toute approprié à une rédaction d’un testament ?

Les préconisations de l’art. 1353 code civil se révèlent un peu trop générales et, par là même insuffisantes ; dans cet arrêt la Cour de Cassation vient le compléter en demandant aux juges d’expliquer quel est le lien entre ce qu’ils constatent (en l’espèce : brouillons d’une autre main, incohérences de style, certificat médical) et la conclusion qu’ils en tirent (insanité d’esprit) ?

N’est une preuve que le fait qui a un lien direct, certain et exclusif avec la conclusion qu’on veut en tirer. Il faut que le fait ou l’ensemble des faits que la juridiction va retenir pour statuer ne puisse pas avoir d’autre explication que celle qu’elle affirme. S’il existe d’autres interprétations possibles du ou des faits, ce ne sera pas une preuve.

Et c’est ce que la cour de Cassation rappelle aux juges : démontrez que ces faits ne peuvent s’expliquer que par l’insanité d’esprit ! Vous ne l’avez pas fait, donc votre décision n’est pas motivée et elle doit être annulée.

3.    Il est indispensable de disposer de preuves efficaces

Collecter des faits sur un comportement revient à travailler à la périphérie (plus ou moins éloignée) du problème : il en faudra plusieurs, de nature adaptée et en lien étroit et certain avec l’insanité d’esprit prétendue pour convaincre la Cour de Cassation. 

En effet, des « anomalies » dans un comportement humain résultent souvent de maladresses circonstancielles ou d’une personnalité marquée par l’originalité, sans pour autant être la manifestation d’une perte des capacités mentales. Il est rare que le tableau qu’elles composent soit tel qu’il ne puisse recevoir, comme exclusive explication, l’insanité d’esprit de la personne.

En pratique, les avocats spécialistes en matière de donations et successions déconseillent à ceux qui voudraient « attaquer » un testament pour insanité d’esprit de se lancer dans une procédure avec pour seules « munitions » un ensemble de faits disparates et équivoques.

Pour de sérieuses chances de succès, la preuve quasi (et seulement quasi) indiscutable reste le certificat médical, contemporain de la rédaction de l’acte établissant un état de santé gravement défaillant du patient le rendant incapable de comprendre le contenu et la portée de son acte, qu’il s’agisse de testament ou de donation.

Il peut s’agir également d’un certificat médical antérieur attestant d’un état de santé gravement défaillant et permanent : par exemple, les premiers certificats médicaux dressés au début des procédures de tutelle / curatelle.

C’est la raison pour laquelle de plus en plus de notaires sollicitent d’un client âgé, malade ou « original », un certificat médical d’un médecin qui sera joint à un testament notarié ou à une donation par acte authentique. C’est une sécurité pour le notaire, mais bien plus encore pour le testateur ou le donateur, car ses volontés ne pourront que difficilement être remises en cause.

Ne pas croire pour autant que même un certificat médical précis, détaillé et complet assure le succès devant une juridiction : les juges ne sont pas liés par un avis scientifique, même émanant d’un expert, « a fortiori » d’un simple médecin traitant ; ils conservent un pouvoir d’appréciation de la valeur et de la portée d’une telle pièce et peuvent, en motivant solidement, en écarter l’application.

Charles CAZALS
Avocat