Cour de Cassation – 1ère chambre – 25 septembre 2013 – n°12-25.160
Début 2006, Monsieur Emile N…, vivant seul, trop âgé et en mauvaise santé, ne pouvait plus effectuer les tâches ménagères essentielles. Il faisait donc appel à une association spécialisée, Entraide Sociale du Var.
Moyennant le versement d’une somme fixée en fonction de ses besoins et de ses revenus, l’association mettait à sa disposition, une de ses salariées, aide ménagère, Madame P… à partir du 1er mars 2006.
Certainement pétrie de qualités, Madame P… bénéficiait, dès le 17 avril 2006, d’un hébergement gratuit chez Monsieur N… ; le 3 août 2006, elle était couchée sur le testament olographe de ce dernier pour recevoir en héritage un bien immobilier ; en janvier 2007, Monsieur Emile N. confirmait ses volontés en matière de succession dans un testament par acte authentique ; en mai 2007, l’aide ménagère recevait procuration sur ses comptes bancaires.
Madame P. ne s’embarrassait guère des clauses de son contrat de travail selon lesquelles : « L’aide-ménagère ne doit recevoir de la personne âgée aucune rémunération, ni gratification », ni du règlement intérieur de l’association énonçant : « L’aide à domicile est rétribuée par l’association ; vous n’avez donc pas à lui donner ni gratification en nature ou argent, ni pourboire.» Deux textes auxquels elle avait souscrit.
Monsieur Emile N… décédait le 22 avril 2007, laissant son fils Paul N… comme seul enfant et héritier.
Connaissance prise des dernières volontés de son père, il constituait avocat qui saisissait la justice pour faire annuler les deux testaments.
Les juges du tribunal, puis par arrêt du 9 mai 2012, ceux de la cour d’appel d’Aix en Provence, lui donnaient raison. Ils annulaient le testament notarié de 2007 eu égard à l’insanité d’esprit de Monsieur Emile N… au moment de sa rédaction, et celui de 2006 au motif que Madame P. avait délibérément enfreint les règles de l’association et les clauses de son contrat de travail lui interdisant de recevoir des gratifications.
Par l’arrêt du 25 septembre 2013, la Cour de Cassation censure partiellement.
Elle confirme (implicitement) que la cour d’appel a justement annulé le testament de 2007 pour insanité d’esprit, mais déclare que c’est à tort qu’elle a retenu les arguments ci dessus pour annuler celui de 2006. Elle rappelle que seule la loi peut édicter des incapacités de recevoir à titre gratuit, mais certainement pas le règlement intérieur d’une association, ni le contrat de travail.
Effectivement, dans la liste des personnes frappées d’une telle incapacité, énoncée à l’article 909 du code civil, figurent les personnels soignants et les tuteurs et curateurs, mais pas les aide-ménagères…
Il en résulte, de manière paradoxale, qu’un comportement interdit par contrat, dans un souci de moralité et de loyauté vis à vis de personnes âgées et dépendantes, dont les capacités sont largement affaiblies, est finalement autorisé par les juges en application de la loi !!!
Le paradoxe n’est qu’apparent.
Conformément à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et à la Constitution de 1958, seule la loi peut restreindre ou supprimer des libertés. Il en va ainsi pour la liberté de donner et celle de recevoir, qu’il s’agisse de donations ou de legs dans les successions. Permettre à un employeur ou à un groupement de limiter des libertés en ce domaine amènerait, évidemment, à des dérives particulièrement dangereuses.
Et, si l’on en juge par les quelques éléments de fait distillés dans cet arrêt, il est loin d’être exclu que le premier testament puisse être annulé pour le même motif que le second… la morale et la justice seront sauves.
La parole est aux avocats spécialistes et à la Cour d’appel de Montpellier…