Quand les enfants font annuler le remariage de leur père
SOS conso. Dans sa chronique, la journaliste du Monde Rafaële Rivais explique que lorsqu’il apparaît que l’un des conjoints s’est prêté à la cérémonie dans un autre but que de mener une vie conjugale, le mariage peut être attaqué dans un délai de trente ans à compter de sa célébration par tous ceux qui y ont intérêt.
En cette saison de mariages, rappelons que dire « oui » devant monsieur le maire ne suffit pas à prouver que l’on consent à une union. Le « consentement », tel qu’il est prévu par l’article 146 du code civil, signifie que les époux ont une véritable « intention » matrimoniale : ils se marient pour mener une vie conjugale.
Lorsqu’il apparaît que l’un d’eux s’est prêté à la cérémonie dans un autre but, le mariage peut être attaqué dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par tous ceux qui y ont intérêt. Il s’agit le plus souvent du procureur de la République, lorsqu’il constate que l’engagement a été contracté aux seules fins de naturalisation. Mais il arrive souvent que ce soient les enfants d’un premier lit qui réclament cette annulation, leur intention étant d’écarter leur belle-mère de la succession, comme le montrent les trois affaires suivantes.
Lorsque Gilbert W. décède, le 13 mars 2011, ses deux enfants, Régis et Annick, issus de premières noces, apprennent qu’ils ont une belle-mère de leur âge, Brigitte. Leur père, avec lequel ils étaient fâchés, ne les a pas informés de son remariage, en décembre 2000. La cérémonie, d’ailleurs, a été discrète : à la mairie du 16e arrondissement de Paris, seuls deux témoins étaient présents : Geneviève, la mère de la mariée, et un ami.
Union fictive
Régis et Annick tombent des nues : Geneviève était la compagne de Gilbert depuis 1990, et celui-ci l’avait fait figurer sur l’arbre généalogique de sa famille. Geneviève et Gilbert signaient « papy et mamy » sur les cartes postales qu’ils envoyaient à leurs petits-enfants, avant et après décembre 2000. Comment leur père, ancien colonel, homme de principes, aurait-il pu avoir une double vie ? Ils mènent leur enquête, et comprennent que son union était fictive : Gilbert a continué de voir Geneviève chaque jour jusqu’en 2005. Après une amputation, il est venu s’installer à son domicile, où une auxiliaire de vie les a pris en charge. C’est auprès de Geneviève, et non de Brigitte, qu’il a fini ses jours.
Les enfants assignent leur jeune belle-mère, en invoquant l’article 146 du code civil. Ils soutiennent que l’alliance n’a été contractée qu’« à des fins successorales » : il s’agissait d’assurer financièrement l’avenir de Brigitte. D’ailleurs, indiquent-ils, Gilbert avait envisagé d’adopter la fille de sa compagne, avant de choisir la solution du mariage de façade, qui laissait à cette dernière une plus grande part d’héritage. Ils obtiennent l’annulation, confirmée par la Cour de cassation, le 1er juin.
Dans l’affaire suivante, la fillette, mineure, qui demande l’annulation du remariage de son père agit sous la tutelle de sa mère, divorcée, et de ses grands-parents paternels. Le père, que nous appellerons Jean, la quarantaine, a refait sa vie avec une jeune Canadienne ; il s’est même pacsé avec elle avant de contracter un cancer du sang qui l’a terrassé. Trois jours avant de mourir, ils se sont unis dans une chambre stérile de l’hôpital de Villejuif, où s’étaient déplacés deux témoins et un officier d’état civil. La famille suivait la cérémonie à travers une vitre.
Quarante ans de vie commune
Néanmoins, un an plus tard, elle réclame l’annulation du mariage. Elle affirme que les règles formelles de l’alliance n’ont pas été respectées, et que celle-ci doit être qualifiée de « clandestine ». Un médecin atteste cependant que Jean n’était pas en mesure de se rendre à la mairie, et qu’il a souhaité se marier conformément aux dispositions que le code civil prévoit en cas de « péril imminent de mort ».
La famille invoque alors l’article 146 du code civil. Elle soutient que Pierre n’a pas pu donner de consentement éclairé, puisqu’il était sous morphine et qu’il avait affirmé ne jamais vouloir se remarier. « Nous avons dû prouver que telle était pourtant son intention », indique Me Marie-Christine Cazals, avocate de la veuve. « D’une part, son dossier médical ne fait pas état d’une altération de sa conscience. D’autre part, Jean, qui n’avait plus de force, et ne pouvait plus écrire, utilisait son téléphone pour envoyer des textos dans lesquels il disait “Je t’aime” ou “Je désire que tu sois ma femme”. Je les ai fait constater par huissier », explique-t-elle. La cour d’appel de Versailles juge, le 28 avril, que « chaque individu est susceptible d’évoluer, peut-être plus encore lorsqu’il est confronté à la maladie ». Elle refuse d’annuler le mariage.
Même réponse, lorsque Jean-Rémy demande l’annulation du mariage de son père Georges avec Josette. Il soutient que sa belle-mère a abusé de la faiblesse de Georges, atteint de la maladie d’Alzheimer, pour se faire passer la bague au doigt. La cour d’appel de Montpellier constate, le 25 janvier, que le fils, indifférent au sort de son père du vivant de celui-ci, ne s’est pas opposé à cette union ; que Josette et Georges ont vécu ensemble pendant quarante ans, avant de se marier ; et que Josette s’est occupée tendrement de son époux jusqu’à son dernier souffle… La cupidité ne paie pas toujours.