Cour de Cassation – première chambre – 22 juin 2004 – n° 02-20398
Cour de Cassation – première chambre – 8 juillet 2015 – n° 14-18875
Les notaires connaissent le droit, mais ignorent le passé de leurs clients ; leurs clients se souviennent (et encore, pas toujours!) de leurs actes passés, mais n’en mesurent pas la portée juridique. Ainsi pour celui qui va laisser à son décès un testament au profit d‘un parent et une donation au bénéfice d’un autre, sur une même part de patrimoine !
Résultat : un imbroglio juridique et judiciaire opposant des avocats spécialistes en droit des successions parfois jusqu’à la plus haute des juridictions civiles, la cour de Cassation.
L’histoire commence le plus souvent par la rédaction d’un testament olographe ; le manuscrit réunit toutes les conditions, de forme et de fond, imposées par la loi, sa validité ne saurait donc être mise en doute.
Elle se poursuit par une donation, dictée sans doute par de nouvelles considérations, d’affection, d’affaires ou d’aspirations.
Comme toute donation dont on veut garantir la sécurité juridique, elle est passée par acte authentique, c’est à dire par devant un notaire, qui va recueillir et transcrire les volontés du donateur et du donataire.
Mais, le donateur oublie d’informer son notaire de l’existence du testament déjà rédigé ; pas plus qu’il ne rédigera, après l’acte de donation, un nouveau testament concordant avec la donation !
Elle devient un problème peu après l’ouverture de la succession du testateur et donateur, quand le légataire et le donataire s’aperçoivent que ces deux actes sont absolument et totalement incompatibles ; ainsi de la quotité disponible attribuée d’abord par testament à Pierre, puis donnée au conjoint survivant par une donation entre époux, ou d’une rente consentie à un légataire sur un bien ensuite donné.
Les deux actes prennent effet au décès…
L’histoire se transforme nécessairement en litige, porté par des avocats spécialistes et soumis aux tribunaux.
Comment trancher ? Que faire prévaloir : le testament « d’avant » ou la donation « d’après » ?
La tentation est grande de donner la préférence au dernier acte, qui est la manifestation la plus récente de la volonté du défunt : s’il a décidé de donner postérieurement au testament, c’est qu’il a révoqué sa volonté de léguer et on doit donc exécuter les dispositions du seul contrat de donation.
C’est le raisonnement tenu par deux cours d’appels : Montpellier le 24 septembre 2002 et plus récemment, Orléans le 7 avril 2014.
Mal leur en a pris : les arrêts de ces deux juridictions ont été cassés par la cour de Cassation, le premier le 22 juin 2004, le second le 8 juillet 2015, qui rappelle, à cette occasion, les principes légaux du droit des testaments.
Selon l’art. 1035 du code civil, un testament ne peut être révoqué que par un testament postérieur ou par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté.
Selon l’art. 1038 du même code, toute aliénation que fera le testateur de tout ou de partie de la chose léguée, emportera la révocation du legs pour tout ce qui a été aliéné.
La seconde formule ne suscite guère de difficultés ; ce n’est pas parce que le défunt a rédigé un testament qu’il perd la propriété ou la disponibilité de ses biens. Il peut donc, après avoir rédigé un testament, vendre, donner, céder voire échanger, ce qu’il avait prévu de léguer. La maison, les meubles ou les parts sociales ayant quitté le patrimoine familial, il est évident qu’on ne peut plus exécuter le testament, mais seulement constater qu’entre temps, le défunt avait changé d’avis.
La première formule, en revanche doit éveiller l’attention : il ne s’agit pas de n’importe quel acte notarié, mais bien d’un acte devant notaires, au pluriel ! Et cette précision fait à son tour référence à une autre disposition légale spécifique, mais fort peu connue, hormis des notaires et des avocats spécialistes en droit des successions.
En effet, l’art. 9. 2° de la loi du 25 ventôse an XI modifiée par la loi du 28 décembre 1966, porte que les actes contenant révocation de testament et les procurations données pour révocation de testament seront, à peine de nullité, reçus par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins.
Dans l’un et l’autre cas cités supra, la donation n’avait été reçue que par un seul notaire ! Elle ne pouvait donc pas révoquer le testament antérieur, et c’est lui qui devait recevoir exécution.
Il n’est pas certain que telle ait été la volonté de la personne décédée, il n’est pas certain non plus que telle n’ait pas été sa volonté !
Les arcanes du droit des successions imposent une consultation complète et sincère d’un notaire ou d’un avocat spécialiste, pour recevoir conseils et rédiger les actes garantissant une transmission de tout ou partie du patrimoine conforme à ce que l’on veut.