Les condamnations pour abus de faiblesse se multiplient
S’il peut concerner toute personne vulnérable, l’abus de faiblesse fait avant tout des victimes au sein du troisième âge. Les dossiers s’empilent sur le bureau parisien de Me Marie-Christine Cazals. Saisie le plus souvent par des enfants inquiets de l’état de santé de leur parent – et de la dilapidation du patrimoine familial -, cette avocate spécialisée en droit des successions est saisie chaque semaine d’une nouvelle affaire d’abus de faiblesse.
Consistant à « profiter de la vulnérabilité particulière d’une victime afin de la conduire à agir de manière préjudiciable pour elle-même », l’abus de faiblesse peut, sur le papier, prendre un nombre infini de formes. Mais, dans les faits, la trame des scénarios varie peu. « On se retrouve presque toujours face à des personnes âgées ayant, dans le meilleur des cas, offert leurs plus belles bagues à leur femme de ménage. Mais si on découvre l’affaire sur le tard, il arrive qu’elles aient aussi cédé voiture et maison »
Encore assez rares, ces affaires se sont néanmoins multipliées ces dernières années. En 2007, 615 abus de faiblesse ont été sanctionnés par la justice. «Ces délits augmentent, et surtout augmenteront, au gré du vieillissement de la population, analyse Cédric Blin, avocat spécialisé en droit commercial à Valenciennes (Nord). Les escrocs profitent à plein de la vulnérabilité du grand âge.»
« Loin de leurs proches, les personnes âgées s’attachent à ceux qui les entourent »
L’isolement géographique des retraités aggrave encore le phénomène. C’est en tout cas le constat de Marie-Christine Cazals : « Vivant loin de leurs proches, les personnes âgées s’attachent parfois spontanément à ceux qui les entourent au quotidien : aide à domicile, tuteur
» Et, parfois, la bienveillance n’est pas réciproque.
Qu’on ne s’y trompe pas toutefois : l’abus de faiblesse ne touche pas que le troisième âge, mais, plus largement, toute personne fragile psychologiquement. Chez les victimes plus jeunes, certaines ont été bernées par une secte, d’autres – et c’est la grande majorité – ont, tout simplement, été abusées lors d’un démarchage commercial à domicile. Là encore, l’histoire varie peu. « L’escroc tient la main du client pour qu’il signe un bon de commande, il lui fait souscrire un prêt à un taux d’intérêt exorbitant, le tout en l’embrouillant entre les francs et les euros », explique Cédric Blin.
En principe, l’abus de faiblesse est sévèrement puni (trois ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende). En principe seulement. Dans les faits, tout se complique. Ce délit passe, en effet, pour être l’un des plus complexes à démontrer. « Faute d’expertise médicale probante ou de témoignage attestant la pression exercée sur la victime, il peut se révéler très difficile de démontrer que notre client n’était consentant qu’en apparence au moment de sa prise de décision », précise Marie-Christine Cazals. Son confrère de Valenciennes ne dit rien d’autre : « Dans ces dossiers, la charge de la preuve repose sur le plaignant. Or, celui-ci est, précisément, hyper-vulnérable ! » Voilà qui explique que les affaires n’aboutissent souvent que lorsque la famille proche décide elle-même de saisir la justice.
« La honte de s’être fait berner »
Seule avancée favorable aux victimes ces dernières années : l’adoption de la loi About-Picard de 2001 (1). « Ce texte facilite la reconnaissance de l’abus de faiblesse », se félicite Amélie Cladière, secrétaire générale de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ( Miviludes). « Jusqu’à cette date, il fallait collecter des éléments de preuve attestant – objectivement – la vulnérabilité de la victime.
Les avocats devaient par exemple apporter la preuve de l’existence d’une pathologie mentale grave. Depuis 2001, démontrer le conditionnement psychologique ayant présidé à la prise de décision de la victime peut suffire. Ainsi, si des témoins peuvent attester les pressions subies par cette dernière, le juge peut plus facilement retenir l’abus de faiblesse. »
Reste, dans tous les cas, aux victimes à se soumettre à diverses expertises médicales, un épisode douloureux. « Il y a peut-être pire encore que cette souffrance-là, constate Me Marie-Christine Cazals. Il y a la honte de s’être fait berner. »
Marie BOËTON
(1) Le texte de loi vise à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires.