A propos de :
Cour de Cassation – 1ère chambre civile – 27 septembre 2017 – n°16.13151
Cour de Cassation – 1ère chambre civile – 27 septembre 2017 – n°16.17198
Le droit français des successions doit sa construction actuelle tant à la tradition qu’à son adaptation constante aux évolutions de la société. La majorité des français reste attachée, encore en 2018, à une transmission du patrimoine aux descendants, enfants ou petits-enfants et trouvent sa taxation injuste, tellement cette dévolution est naturelle.
La dévolution successorale face aux situations familiales
Mais, en même temps, les situations évoluent continuellement : l’adoption se développe, les familles « recomposées » se multiplient, des couples vivent longtemps sans aucun régime juridique (concubinage ou union libre), d’autres choisissent le cadre protecteur du Pacte Civil de Solidarité (PACS), d’autres se créent à la faveur de la nouvelle définition du mariage.
Il faudra bientôt inclure la procréation médicalement assistée (PMA) pour des personnes seules ou des couples, puis, peut être un jour, la gestation pour autrui (GPA) plus connue sous l’appellation « mère porteuse », pratique que des législations étrangères autorisent déjà.
Il en résulte que le droit des successions se nourrit aussi bien d’expressions fleurant bon le 19ème siècle, telle « Le mort saisit le vif » ou « de cujus » que de formules de modernes technocrates, « acceptation de la succession à concurrence de l’actif net » ou « mandat à effet posthume ». La souplesse de ces dernières permettant une meilleure adaptation aux situations nouvelles.
Il en résulte également, et surtout, que ce pan du droit présente une complexité rare, due à la diversité des situations et à la confrontation d’intérêts divergents. Ainsi, qui doit-on privilégier dans la transmission d’un patrimoine ? :
- les enfants ou le conjoint survivant ?
- le compagnon ou la compagne au quotidien ou un conjoint qui n’a d’autre lien avec le défunt qu’un mariage qui n’est pas encore dissous ?
- les frères et soeurs ou les père et/ou mère encore vivants ?
- un ami très dévoué pendant la dernière maladie ou un lointain parent qui ne s’est jamais manifesté avant le décès ?
On comprend que cette matière juridique soit particulièrement complexe et évolutive, nécessitant en cas de conflit, l’intervention d’un avocat spécialiste ! Il existe bien quelques grands principes, objets de la présente note, mais aussi de très nombreuse exceptions ou modalités de dérogation, qu’un volume suffit à peine à traiter.
Les principes de la dévolution successorale
a) Les descendants au premier degré
Le premier principe de la dévolution successorale est très simple, le patrimoine familial se transmet des parents aux propres enfants (« descendants au premier degré »), et si l’un des enfants est pré-décédé, aux enfants issus, c’est à dire aux petits enfants du défunt.
C’est une règle qui a pour corollaire le droit d’aînesse, avant 1789 : le fils aîné recueille l’ensemble ou au moins l’essentiel du patrimoine au décès du père. En revanche, ensuite, la répartition se fait sur un principe d’égalité et tous les enfants, quel que soit leur sexe ou leur rang de naissance bénéficient des mêmes droits : l’héritage est partagé également entre chacun.
Pour assurer l’effectivité de ce principe, la loi prévoit que chaque enfant est un héritier « réservataire », c’est à dire qu’il ne peut en aucun cas être privé de sa part, qui lui est « réservée ».
b) Le patrimoine du défunt reste dans la famille
Le deuxième principe de la dévolution successorale a longtemps été de faire en sorte que le patrimoine du défunt reste dans la famille, quand il n’avait pas d’enfant. Les biens reviennent alors aux père et mère s’ils sont encore vivants, à défaut aux frères et soeurs, aux neveux et nièces, même éloignés.
Si le principe est simple, les règles techniques sont complexes et parfois difficiles à mettre en oeuvre. En effet, la succession peut, dans certains cas, être dévolue aux ascendants autres que les père et mère, c’est à dire aux grands-parents. Mais aucun d’entre eux n’est, comme un descendant, réservataire.
c) Le droit des successions prend en compte le conjoint survivant
Mais depuis quelques années, et cela peut s’analyser comme le troisième principe, le droit des successions prend en compte une personne injustement oubliée : le conjoint survivant. Il a fallu attendre le début du 21ème siècle et la loi du 3 décembre 2001 pour que la veuve ou le veuf bénéficie d’un véritable statut d’héritier.
Même s’il ne passe pas en premier, les enfants du défunt étant toujours privilégiés, le conjoint survivant a droit à une part de l’héritage. Cette part est d’un montant variable, calculé en usufruit ou en pleine propriété, selon les situations familiales.
Il peut même arriver que le conjoint survivant soit « réservataire ». On comprend que là encore, la mise en oeuvre technique puisse être compliquée.
Le souci de privilégier la transmission aux enfants du défunt a amené à leur accorder la qualité d’héritier « réservataire ». Le père ou la mère n’ont donc pas la pleine liberté de transmettre leurs biens, à qui ils veulent, dans la proportion qu’ils veulent. S’ils ont un enfant, la moitié de la succession lui est « réservée », s’ils en ont deux, les deux tiers de la succession leurs sont « réservés » et s’ils ont trois enfants ou plus, ce sont alors les trois quarts de la succession qui leur sont « réservés ». Par testament ou par donation, un père ou une mère, ne peuvent donc disposer à leur guise (pour un ami, pour une oeuvre caritative, ou pour un autre parent) que de la moitié, du tiers ou du quart de leur fortune.
La dévolution successorale et le droit européen
Cette importante restriction de la liberté n’est pas commune à toutes les législations. Ainsi dans certains Etats, dont l’Angleterre, l’Irlande du Nord, les U.S.A., une personne peut décider de donner tout son patrimoine à un seul de ses enfants ou choisir une personne totalement étrangère à la famille.
Ces pays font primer la liberté individuelle de disposer sur la continuité familiale et décident que l’on doit respecter, d‘abord, la volonté du défunt. On y estime que le propriétaire d’une (petite ou grande) fortune est le mieux placé pour savoir à qui il doit la transmettre. Ainsi, certains parmi les plus riches hommes des Etats Unis, ont déjà annoncé qu’ils ne légueraient qu’une très faible part de leur patrimoine à leurs enfants, la quasi totalité allant à des fondations. Quelques excentriques, heureusement rares, préfèrent leur animal de compagnie !
Il semblait à tous les professionnels du droit des successions, tels que notaires et avocats spécialistes, que ce système anglo-saxon ne pourrait jamais déteindre sur le système français et que la liberté de léguer resterait toujours réduite en France, dès lors que le défunt a laissé des descendants directs.
C’était probablement sans compter avec le droit européen, illustré notamment par le Règlement Européen sur les successions internationales du 4 juillet 2012.
En modifiant les règles de compétence en matière de succession, l’Europe a ouvert une brèche et reconnu implicitement que le système français n’était qu’un sytème parmi d’autres, ni plus, ni moins préférable. Donc rien n’impose, dans le cadre européen, qu’un enfant français reçoive automatiquement et nécessairement une part de la succession de son père ou de sa mère.
Et la Cour de Cassation semble bien avoir adopté cette lecture du droit européen en décidant, par deux arrêts du 27 septembre 2017 (références supra) que « la réserve héréditaire » peut être écartée, par application d’un droit étranger, pour régler la succession d’un français, laissant des enfants français en France et dont une partie des biens se situe en France.
En l’état du droit des successions, la jurisprudence ne peut aller plus loin et la « réserve » est incontournable pour toutes les successions réglées par le droit français.
En revanche, la Cour de Cassation pourrait bien avoir « senti l’air du temps » et le courant porteur vers toujours plus d’individualisme. Et, à cette occasion elle a sans doute fait passer un message vers le gouvernement et les assemblées, qui un an plus tard, a de fortes chances d’être entendu, même si c’est pour des raisons purement financières.