Cour de Cassation – première chambre – 7 février 2018 – n° 17-08818
La décision que vient de rendre la Cour de Cassation est incontestablement équitable : la société n’a pas à prendre en charge l’entretien d’une personne âgée alors que cette dernière dispose de biens personnels lui permettant d’assumer ses propres dépenses.
Elle est également solidement fondée en droit, même si sa motivation peut apparaître, en partie, au moins déroutante.
Le tuteur de Pierre X, majeur incapable et bénéficiant de très faibles revenus, sollicite l’autorisation du juge des tutelles pour placer sur un contrat d’assurance-vie une importante somme d’argent provenant de la vente d’un immeuble appartenant à son protégé ; le magistrat autorise l’opération et le tuteur procède au versement d’une prime conséquente. Il s’agit là d’une opération banale, bien connue des avocats spécialistes en droit du patrimoine familial.
Pierre X décède peu après et les bénéficiaires, ses 4 enfants, reçoivent chacun leur part du capital du contrat d’assurance-vie.
Mais, une caisse de retraite vient soudain leur rappeler qu’elle a versé à leur père, de 1987 à son décès, une allocation de solidarité et leur demande le remboursement du montant total de cette aide sociale, sur l’actif de la succession ; actif dans lequel il y a lieu de réintégrer, selon elle, le capital versé au titre du contrat d’assurance vie, en application de l’art. L 132-13 du code des assurances.
En effet, si, selon l’art. L 132-14 du même code, les créanciers du contractant ne peuvent se faire rembourser sur le capital ou la rente découlant du contrat d’assurance vie, mais seulement sur la succession, ils peuvent parfaitement invoquer le très fameux dernier alinéa de l’art.L 132-13 : si les primes du contrat d’assurance-vie sont « manifestement exagérées eu égard aux facultés » du contractant, elles sont considérées comme une part de l’actif de la succession.
Les créanciers pouvant utiliser cette voie de droit, la caisse l’a fait.
Au moins une des enfants ne l’entend pas de cette oreille et conteste cette créance devant les juridictions ; en vain.
La Cour d’Appel de Versailles la déboute, par arrêt du 27 novembre 2015, écartant un à un tous ses arguments.
Elle forme donc un pourvoi en cassation. Sans plus de succès, la Cour de Cassation le rejette par l’arrêt ci-dessus référencé.
Son argumentation, en deux temps, ne manquait cependant pas de pertinence.
Elle estimait tout d’abord que du fait de l’autorisation du juge des tutelles de verser des primes, aussi importantes fussent-elles, celles-ci ne pouvaient pas être considérées comme manifestement exagérée et souscrites en fraude des droits des créanciers. Si le juge valide une opération, c’est qu’elles est forcément légale et régulière, donc le versement de primes d’un contrat d’assurance vie autorisé par le juge des tutelles est inattaquable et nul ne saurait revenir dessus.
Mauvais raisonnement, rétorque la Cour de Cassation : l’autorisation du juge des tutelles ne « sanctuarise » pas une opération de placement de fonds, elle valide simplement un mode de gestion des fonds du majeur sous tutelle ; elle ne la rend pas totalement inattaquable et ne saurait priver les créanciers de leurs recours réguliers.
Elle soutenait ensuite que si tel n’était pas le cas, elle pouvait au moins bénéficier des dispositions de l’art. 786 al 2 code civil, selon lequel l’héritier qui a accepté une succession
« peut demander à être déchargé en tout ou partie de son obligation à une dette successorale qu’il avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel. »
Elle n’avait découvert cette lourde dette sociale, que bien après le décès, l’ouverture de la succession et la perception de sa quote-part de capital de l’assurance vie, donc le juge pouvait la décharger en tout ou en partie.
Pas davantage de succès ! Selon la Cour de Cassation, pour que l’héritier puisse bénéficier d’une décharge, totale ou partielle d’une dette trop lourde et inconnue à l’ouverture de la succession, il faut que ce soit « une dette successorale et non pas d’une dette de la succession ». Tel n’est pas le cas en l’espèce, la dette à l’égard de la Caisse est « une dette de la succession » !
Cette distinction n’est pas une banale question de vocabulaire, mais comme le pratiquent régulièrement les notaires et les avocats spécialistes en succession, elle constitue une différence fondamentale.
La dette successorale est une dette qui a pour origine l’activité de la personne décédée, en suite d’un acte juridique qu’elle a conclu (par exemple un prêt), ou d’un fait juridique (un accident qu’elle a provoqué) et qui existe donc déjà avant le décès et donc avant l’ouverture de la succession.
La dette de la succession est une dette qui ne se crée qu’après le décès de la personne, ainsi de l’indemnité due par les héritiers qui ont laissé, après le décès de leur parent, les meubles dans un local loué ou mis à disposition : les meubles appartiennent à la succession, c’est elle qui doit donc payer à partir de la mort.
Si le rejet du premier argument ne suscite guère d’étonnement et de critique, il appelle toutefois un commentaire : pourquoi le tuteur, conforté par la décision du juge, n’a-t-il pas choisi une solution plus simple ? N’eût-il pas été efficient de laisser les fonds sur un compte livret, aisément accessibles pour payer les charges, en lieu et place de l’aide sociale ? Il n’en serait résulté aucune surprise ensuite !
Le second argument, en revanche, provoque l’interrogation, pour les avocats spécialistes en matière de succession ou en droit des affaires. La caisse a versé son aide (trimestrielle) à Pierre X de 1987 au décès ; les faits générateurs de la dette, à savoir la survie de Pierre X pendant plusieurs trimestres avec droit de percevoir cette aide, sont donc nécessairement antérieurs à son décès. Seuls le montant final de la dette et son exigibilité sont postérieurs au décès. Les exemples de la sorte sont légion en matière sociale comme en droit des entreprises en difficulté, dans la jurisprudence de … la Cour de Cassation comme dans les dispositions légales.
La Cour avait pourtant la faculté d’aboutir au même résultat en faisant valoir que cette dette ne pouvait guère être légitimement ignorée des héritiers à l’ouverture de la succession : il n’était pas difficile de se faire communiquer les comptes de leur père avant d’accepter sa succession !