Cour de Cassation – première chambre – 5 décembre 2015 – n° 15-10978
Au décès de leur père, le 17 août 2012, puis de leur mère, le 11 décembre 2012, leurs trois enfants se retrouvaient, ensemble, à la tête d’un patrimoine mobilier considérable, constitué notamment de plusieurs véhicules de collection.
A ce titre, ils étaient tenus de s’acquitter des droits de succession, alors évalués, pour chacun, à … plus de 6 M€ !
Ne pouvant payer immédiatement, faute d’un actif immédiatement disponible et de revenus suffisants, deux d’entre eux sollicitaient des services fiscaux des versements échelonnés sur un délai de 10 ans.
L’administration n’acceptait qu’après des négociations difficiles, incluant un redressement, portant le montant des droits de chacun à plus de 10 M€ et des conditions de garantie de paiement !
Pour sortir de cette situation, les avocats de deux des héritiers saisissaient le Président du Tribunal de Grande instance de Guéret, par acte du 12 août 2014. Ils demandaient à être autorisés, en application de l’article 815-6 du code civil, à vendre aux enchères, trois automobiles de course « Ferrari », datant de 1954, 1957 et 1961, dans le cadre d’un salon spécialisé (Retromobile) se tenant à Paris, en février 2015. Le troisième s’y opposait.
Cet article 815-6 du code civil, souvent utilisé par les avocats spécialistes en successions, permet en effet au Président du T.G.I. de prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun, lorsque les indivisaires n’arrivent pas à s’accorder sur ce qu’il est nécessaire de faire ! Il est fréquemment mis en oeuvre pour payer des droits de succession, faire effectuer des travaux de réparation urgents ou s’acquitter de dettes de l’indivision dont la charge se révèle particulièrement lourde. La rapidité et la simplicité de la procédure constituent ses atouts.
Le Président du Tribunal de Guéret, statuant en la forme des référés, rejetait cette demande, le 28 octobre 2014, estimant que les conditions prévues par le texte du code civil n’étaient pas réunies.
Entre temps, les services fiscaux n’ayant pas reçu la garantie de paiement demandée, exigeaient désormais un paiement immédiat des droits, des intérêts de retard échus et à venir !
Un seul des demandeurs portait alors le litige devant la Cour d’Appel de Limoges, le 26 novembre 2014.
Celle-ci rendait son arrêt le 6 janvier 2015, donc à temps pour permettre la vente ! Les président et conseillers procédaient à une analyse irréprochable de la situation au regard des exigences portées à l‘article 815-6 du code civil et autorisaient cette vente.
La Cour retenait que l’urgence résultait en particulier de l’obligation immédiate de paiement des droits, assortie d’intérêts de retard au taux légal courant rétroactivement depuis plusieurs mois et devant continuer à courir jusqu’au complet paiement.
Elle estimait que la demande était conforme à l’intérêt commun, puisqu’en cas de défaillance, tous les indivisaires sont tenus, chacun pour la totalité des droits de succession, et non pas seulement pour leur quote part. Le fisc peut en effet concentrer ses efforts sur celui des héritiers qui lui apparaît le plus aisément solvable et exiger de lui la totalité des droits de succession ! Le « malheureux » n’a plus alors qu’à se retourner contre chacun des autres et lui demander de le rembourser du montant de sa part.
Plaideur décidément inlassable, le frère perdant formait un pourvoi en cassation.
Face au raisonnement imparable tenu dans l’arrêt de la Cour d’Appel, l’avocat spécialiste de la Cour de Cassation tentait, pour le compte de son client, une critique de principe : en autorisant une telle vente, les juges avaient, implicitement procédé à un partage anticipé, ce qui n’était pas légal.
Les magistrats de la cour de Cassation viennent de rendre leur décision dans un délai inhabituellement bref (l’influence des « Ferrari »?), le 5 décembre 2015.
Ils balayent l’argument, au motif que la vente n’a pas d’autre effet que de substituer une somme d’argent à un ou plusieurs meubles, dans l’actif de la succession, ce qui ne saurait constituer un acte de partage, et rejettent le pourvoi.
Ils valident ainsi l’autorisation accordée par la Cour d’Appel et confirment, aux yeux des avocats spécialistes, tout l’intérêt de l’article 815-6 du code civil en matière d’indivisions « difficiles ».