Cour de Cassation – chambre civile 1 – 25 octobre 2017 – n° 16-21136
La lecture par l’officier d’état civil, au moment de la cérémonie de mariage civil, des dispositions de l’art. 212 du code civil, prévoyant que :
« Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
suscite régulièrement des réactions mitigées parmi les invités, qu’ils soient contemporains des mariés ou plus avancés en âge.
Si le devoir de respect emporte la pleine adhésion de tous, si le secours et l’assistance ont encore bonne presse, le terme de « fidélité » fait naître sur les visages des demi-sourires ou provoque des interrogations, à voix basse bien sûr.
L’expérience de la vie pour les uns, un solide scepticisme sur la nature humaine pour d’autres, la lecture de l’actualité pour beaucoup, les ont amenés à perdre toute illusion sur la réalité de cette vertu.
Une certaine tradition française largement exploitée dans les comédies, puis dans le théâtre de boulevard, invitait depuis longtemps à minimiser la portée et la gravité des « écarts de conduite », voire à les banaliser.
Le droit de la famille a, peu à peu, suivi et contribué à désacraliser le devoir de fidélité.
De cause péremptoire de divorce, il est devenu cause facultative, avant de n’être même plus cause suffisante. C’est désormais uniquement une question de circonstances, appréciée au vu des choix des conjoints ; chaque couple choisit de vivre, plus ou moins fidèlement, voire pas du tout.
La décision de la Cour de Cassation dont ci-dessus références, illustre bien ce déplacement des valeurs.
Une épouse, bénéficiaire d’une donation entre époux conclue au cours du mariage, trompait son conjoint depuis plusieurs années, de manière régulière mais assez discrète pour qu’il l’ignore, avec un ami de ce dernier. Son mari ne l’apprenait que tardivement et vivait cette découverte très douloureusement ; il se suicidait quelques temps après.
Au règlement de la succession, face aux trois enfants nés d’un précédent mariage, la veuve (manifestement peu éplorée) venait réclamer le bénéfice de la donation à elle consentie. Bien entendu les trois héritiers s’y opposaient absolument, arguant de l’inconduite de leur belle-mère.
Saisie par eux à fin de révocation de la donation, la justice leur donnait raison : la cour d’appel de Bastia estimait que la donataire avait fait preuve d’ingratitude, ce qui justifiait pleinement la sanction, conformément aux dispositions de l’art. 955 code civil.
Sur pourvoi de la donataire évincée, la cour de Cassation approuvait.
La cour de Cassation rappelle que l’adultère à lui seul ne saurait constituer une cause de révocation de la donation entre époux, mais qu’il faut établir des « sévices, délits ou injures graves » ; elle constate que tel est bien le cas, l’inconduite de l’épouse, avec un ami de son mari, était soupçonnée sinon connue du village, ce dernier ne l’avait pris que très tard et avait fait part à des proches de la souffrance qu’il en éprouvait ; il allait d’ailleurs en faire état dans une lettre laissée au moment où il se donnait la mort.
C’est bien l’atteinte au respect dû au conjoint qui, finalement, justifie la révocation de la donation et non pas le manquement au devoir de fidélité exprimé dans le même art. 212 code civil. Agissant ainsi, au vu et au su de tous les voisins, l’épouse a, certainement provoqué moqueries et sarcasmes et écornée la réputation de son mari : c’est une injure, qui est évidemment grave quand on constate son retentissement sur le conjoint.
Aux yeux des avocats spécialistes en droit des successions, la décision est parfaitement justifiée au regard de l’éthique conjugale et, surtout de la loi.
Il en eût été autrement si le couple avait vécu « librement » écartant d’un commun accord toute référence à la fidélité ; la relation extra-conjugale même publique ou quasi-publique, n’aurait alors pu constituer une injure grave, puisqu’elle aurait été conforme à la règle que s’était donnée les deux conjoints.
Curieusement, cette décision trouve un écho moral et textuel dans l’arrêt, plus que cent-cinquantenaire, qui a affirmé le principe de la faculté de révocation de toutes les donations entre époux pour cause d’ingratitude.
Le 26 février 1856, la Cour de Cassation refusait le bénéfice d’une donation entre époux à un veuf dont il venait d’être établi qu’il s’était livré, à l’égard de son épouse à des excès et sévices.
De son vivant, cette dernière ne s’était jamais plainte, n’avait entamé aucune démarche en vue du divorce ou n’avait engagé aucune action contre son mari. Il entendait s’en prévaloir.
La juridiction balayait cette prétention d’un attendu sévère :
« on ne saurait admettre que l’époux coupable puisse trouver dans la gravité des sévices et dans la mort de la victime l’espoir et quelquefois le moyen de s’assurer le profit de son crime ».
C’est, heureusement, toujours vrai en ce début du XXIème siècle