Cour de cassation – première chambre – 11 mai 2016 – n° 14 -16967
La postérité a classé Regnard loin derrière Molière et Beaumarchais ; pourtant sa pièce de théâtre « Le légataire universel » connut, à sa création en 1708, le succès pendant vingt représentations et fut régulièrement jouée et imprimée jusqu’à la Révolution.
Le sujet en a traversé les âges : le dramaturge y met en scène les machinations de Crispin, un valet, ourdies dans l’intérêt d’Eraste, jeune homme sans le sou et neveu de Géronte, vieillard fortuné. Il rêve de se faire établir par testament passé devant notaires et de lire enfin sur l’acte :
« Je nomme, j’institue Éraste, mon neveu,
Que j’aime tendrement, pour mon seul légataire,
Unique, universel, (…)
Lui laissant tout mon bien, meubles, propres, acquêts,
Vaisselle, argent comptant, contrats, maisons, billets. »
(Acte IV – scène 6)
La situation du légataire universel serait elle aujourd’hui encore aussi enviable ? Tout dépend des circonstances, est tenté de répondre l’avocat spécialiste.
Selon la formule employée à l’article 1003 du code civil, le légataire universel ne peut qu’être heureux, car il a vocation à recueillir l‘entier patrimoine du défunt :
« Le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l’universalité des biens qu’il laissera à son décès. »
Heureux légataire universel encore qui, sans délai et sans formalités, peut mettre en oeuvre les droits de propriétaire qu’il tient du testament, sur l’ensemble des biens, lorsqu’il n’est pas en concurrence avec un héritier réservataire, conformément aux dispositions de l’article 1006 du code civil.
Mais malheureux paraît être le sort du légataire universel qui se trouve confronté à un héritier réservataire. En application des dispositions du premier alinéa de l’article 1004 du code civil, c’est ce dernier qui est alors saisi de plein droit, du seul fait du décès de son parent, de la totalité des biens de la succession !
Le légataire universel doit, pour exercer ses droits, solliciter la bonne volonté de l’héritier réservataire et lui demander, certes sans formes obligatoires, la délivrance de son legs ! Sensation garantie de passer sous les « fourches caudines » !
Malheureux plus encore si, comme le constatent régulièrement les notaires et les avocats spécialistes en matière de successions, l’héritier réservataire refuse de lui délivrer son legs, à l’amiable. Il doit alors saisir le tribunal de grande instance pour pouvoir exercer ses droits : cf. Cour de Cassation – 1ère chambre civile – 29 octobre 1979 – pourvoi n° 78-11.889.
En revanche le légataire universel retrouve un large sourire une fois en possession de l’universalité des biens transmis ; il est seul et unique propriétaire de tous les immeubles et de tous les meubles, excluant totalement tout autre, fût il héritier réservataire !
C’est ce que vient de rappeler la Cour de Cassation dans son arrêt du 11 mai 2016.
La défunte laissait pour lui succéder une fille – héritière réservataire – et un neveu, institué légataire universel.
La fille sollicitait des juridictions le bénéfice de l’attribution préférentielle de plusieurs parcelles de terre, faisant sans doute valoir qu’elle les exploitait, si l’on en croit la référence du pourvoi aux textes du code civil.
La Cour d’appel de Pau, par arrêt du 24 février 2014, rejetait cette demande, au motif qu’il n’existait aucune indivision entre elle même et le légataire universel ; en effet ce dernier était seul et unique propriétaire de l’ensemble du patrimoine de la « de cujus » depuis le décès ! Et comme les règles de l’attribution préférentielle ne trouvent à s’appliquer qu’en matière d’indivision, on ne pouvait aller plus loin !
Dans son arrêt, la première chambre civile approuve les juges du fond d’avoir ainsi jugé et raisonné, au visa des articles 924 et seq. du code civil : le legs est réductible en valeur et non en nature ! Par conséquent, le légataire universel recueille la totalité du patrimoine successoral et ne doit à l’héritier réservataire que le paiement de la valeur de sa réserve, en l’espèce la moitié de l’ensemble des biens !
En l’état du droit et de cette jurisprudence, les héritiers réservataires peuvent tirer un trait sur la maison familiale, oublier la villa où ils ont passé leur vacances, faire leur deuil des meubles qu’ils connaissent et aiment depuis leur enfance : tout est pour le légataire universel !
De bonne composition, le légataire universel acceptera sans doute de payer, en nature, la valeur de la réserve en abandonnant à l’héritier ses droits sur tel ou tel immeuble, sur tels ou tels meubles. (cf art. 924-1 code civil)
De mauvaise composition, il pourra se contenter de signer un chèque … après avoir vendu à des tiers la totalité des actifs successoraux !
Les avocats spécialistes dans le domaine de successions connaissent certaines des difficultés que cela entraîne, notamment en matière de terres agricoles, au regard des droits et de la politique des SAFER !
L’exploitant de parcelles, qui doit être privilégié lors de la transmission de semblables immeubles, sera probablement l’acheteur imposé ! Donc l’héritier réservataire exploitant finira bien par récupérer, grâce à la SAFER, les terres qu’il exploite et qu’on lui refuse dans le cadre successoral ! On a connu plus simple !
D’une manière générale, le mécanisme légal, validé par la Cour de Cassation, laisse une impression d’inutile complexité et de douloureuse contradiction.
Complexité puisque ce sont deux personnes différentes qui vont être, l’une après l’autre, saisies de la totalité des droits sur le patrimoine successoral, et ce depuis le jour du décès : l’héritier réservataire d’abord, le légataire universel ensuite.
Contradiction également, dans la mesure où la réserve a vocation à assurer une forme de continuité patrimoniale familiale, laquelle s’accommode mieux d’une transmission en nature que d’une transmission en valeur !
Serait-il véritablement impossible pour le législateur, de prévoir, dans de tels cas, une indivision ?