Cour de Cassation – première chambre – 4 novembre 2010 – n° 07-21.303
Médecin malgré lui comme Sganarelle ou médecin professionnel ignorant comme Diafoirus, les médecins n’ont guère trouvé grâce aux yeux de Molière. Un siècle plus tard, les rédacteurs du code civil les ont, tout autant, tenus en méfiance, mais pas pour les mêmes raisons.
L’illustre auteur de théâtre redoutait (à juste titre) leur mortelle incompétence, les juristes de la fin du XVIII ème, dont certains d’entre eux avocats, appréhendaient leur intéressement démesuré : combien avaient pu constater que certains charlatans avaient largement profité de leurs fonctions et de la faiblesse des malades pour se faire consentir des avantages totalement indus, tels que cessions de terres à bas prix, donations ou legs testamentaires.
D’où l’article 909 du code civil qui énonce que « Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie. »
Ce texte écrit en 1803 restera inchangé jusqu’en 2007, date à laquelle le législateur élargit son domaine d’application en visant toutes les professions de santé : « Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne (le reste sans changement) … »
Les tribunaux, souvent poussés par les avocats des victimes, avaient déjà adopté une telle conception extensive, appliquant cette interdiction à la profession (pourtant illicite) de magnétiseur ainsi qu’à celui qui accueille habituellement, à titre onéreux, des personnes handicapées ou âgées, donc nécessitant des soins.
Les juges, soucieux de s’assurer de la pleine liberté de celui qui donne, en particulier par testament, se montrent extrêmement rigoureux.
C’est ainsi qu’ils n’hésitent pas à apprécier de manière large la notion de traitement médical, relevant, à juste titre, que le patient se trouve en état de dépendance vis à vis de celui ou celle qui pose un diagnostic et prescrit des médicaments, même s’il ne s’agit pas du médecin principal.
Dans un arrêt rendu le 4 novembre 2010, la 1ère chambre de la Cour de Cassation approuve les magistrats d’une cour d’appel d’avoir considéré qu’un médecin qui n’a pas été le médecin principal (pour soigner un cancer), et qui n’a apporté à un patient qu’un soutien accessoire au traitement purement médical mais associé à celui-ci, (en l’espèce un suivi psychiatrique et psychanalytique), était frappé de l’incapacité de recevoir prévue à l’art. 909 du code civil.
La situation particulière des parents du défunt, membres de de profession médicale, fait heureusement exception, dans la mesure où ce sont des proches, liés par l’affection, sans doute plus que par l’intérêt. Le droit permet alors de faire une donation ou de léguer par testament à son médecin, son pharmacien ou son aide médical, qui serait intervenu pour « traiter la dernière maladie », à condition qu’il s’agisse d’un descendant, d’un ascendant, d’un frère ou d’une sœur, d’un neveu ou d’un cousin.
Même s’il n’est pas mentionné à l’art. 909 du code civil, le conjoint survivant, membre d’une profession médicale, doit aussi être admis au nombre des proches qui peuvent bénéficier des largesses du défunt. Cela découle des textes sur les effets du mariage et en particulier de l’obligation d’assistance, mais aussi du droit des régimes matrimoniaux.
On peut sans doute, mais la question ne semble pas s’être encore posée aux juges, raisonner à l’identique, en ce qui concerne la compagne ou le compagnon, médecin, infirmier ou auxiliaire médical, ayant participé au traitement de la dernière maladie, lorsqu’il avait conclu un P.A.C.S. (Pacte civil de solidarité), avec le malade.
En revanche le simple concubin, membre d’une profession médicale, même établi depuis plusieurs années avec le malade, qui aura peu ou prou prodigué des soins à son ami(e), sera logiquement exclu et ne pourra recevoir, ni donation, ni legs.
Le droit civil encourage certainement l’affection et le dévouement à un malade, mais à condition qu’existe un minimum de cadre juridique laissant raisonnablement à penser que l’amour du parent l’emporte sur l’amour de l’argent !